Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/12

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prendre la nouvelle et à la faire circuler. Mais il semblait que, parmi les plus jeunes, il se trouvait aussi une sorte d’oracle, et une douzaine des plus jolies filles étaient rassemblées autour de Ghita, soit pour savoir ce qu’elle avait à dire sur le sujet de la curiosité générale, soit peut-être par un sentiment de modestie et de fierté, naturel à leur âge et dans leur condition, sentiment qui leur apprenait à montrer un peu plus de réserve que les femmes plus âgées et d’un rang plus humble. En parlant de condition et de rang, il ne faut pourtant entendre ces mots que dans un sens très-limité. Il n’y avait à Porto-Ferrajo que deux classes de société, les marchands et les ouvriers, sauf peut-être une douzaine d’exceptions en faveur de quelques employés du gouvernement, d’un avocat, d’un médecin et de quelques prêtres. Le gouverneur de l’île était un Toscan d’un rang distingué, mais il l’honorait rarement de sa présence, et son substitut était un homme de la ville dont l’origine était trop connue pour qu’il pût se donner de grands airs dans le lieu de sa naissance. Les compagnes de Ghita étaient donc des filles de marchands qui, ayant appris à lire, allant quelquefois à Livourne, et étant admises en présence de la femme de charge du substitut du gouverneur, en étaient venues à se regarder comme devant se montrer au-dessus de la curiosité vulgaire de celles qui n’avaient pas les mêmes avantages. Ghita pourtant devait son ascendant à ses qualités personnelles, plutôt qu’au hasard qui aurait pu lui donner pour père un épicier ou un aubergiste, car la plupart de celles qui l’entouraient ne connaissaient ni son origine, ni même son nom de famille. Elle avait été amenée dans l’île six semaines auparavant et laissée en pension par un homme qui passait pour son oncle chez un aubergiste nommé Cristoforo Dovi. Elle devait toute son influence à son bon sens, à un caractère décidé, à une conduite toujours modeste et dirigée par les convenances, à une taille pleine de grâce, et à des traits qui, sans être positivement beaux et réguliers, étaient attrayants au plus haut degré. Personne ne songea jamais à lui demander son nom de famille, et elle ne parut pas elle-même croire nécessaire de le mentionner. Le nom de Ghita lui suffisait ; et quoiqu’il y eût à Porto-Ferrajo deux ou trois jeunes filles qui le portaient aussi, huit jours après son arrivée elle était devenue, d’un consentement général, la Ghita par excellence.

On savait que Ghita avait voyagé, car elle était arrivée, au vu et au su de tout le monde, à bord d’une felouque, venant, disait-on, des états napolitains. Si cela était vrai, elle était probablement la seule de son sexe dans la ville qui eût jamais vu le mont Vésuve, ou jeté