Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/120

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tourna vers l’arrière d’un air pensif, descendit dans sa chambre, et fit dire ensuite au premier lieutenant qu’il désirait lui parler.

— Je ne me soucie pas beaucoup de risquer une attaque par des canots en plein jour, Winchester, dit le capitaine en lui faisant signe de s’asseoir. La moindre faute peut tout gâter, et alors il y a dix contre un à parier que votre équipage ne sera pas remis au complet avant un an, à moins que vous n’exerciez le droit de presse à bord des bâtiments charbonniers et des neutres.

— Mais nous nous flattons, capitaine, qu’aucune faute ne sera commise dans rien de ce que la Proserpine entreprendra. Un bâtiment de guerre anglais réussit neuf fois sur dix, quand il fait attaquer hardiment par ses embarcations un de ces écumeurs de mer. Ce lougre est si ras de l’eau, qu’il sera aussi aisé de monter sur son pont que de passer d’un cutter[1] à bord d’un autre ; et alors je suppose que vous ne doutez pas de ce que des marins anglais peuvent faire ?

— Non, Winchester, je ne doute pas qu’une fois sur le pont, vous n’emporteriez le bâtiment ; mais le tout est d’y arriver, ce qui ne sera peut-être pas aussi facile que vous vous l’imaginez. De tous les devoirs d’un capitaine, celui d’ordonner une attaque par ses canots est le plus désagréable ; il ne peut là commander lui-même ; et si l’alaire tourne mal, il ne peut jamais se le pardonner. C’est une chose toute différente dans un combat où la chance, bonne ou mauvaise, est égale pour tous.

— Vous avez raison, capitaine ; et cependant c’est le seul moyen qu’aient les lieutenants pour obtenir de l’avancement un peu avant que leur tour arrive régulièrement. J’ai entendu dire que vous même vous avez été nommé commandant pour avoir coupé quelques bâtiments côtiers au commencement de la guerre actuelle.

— Vous n’avez pas été mal informé, Winchester ; et nous avions couru diablement de risques. Notre bonheur nous a sauvés, et voilà tout. Un coup de plus tiré par une maudite caronade nous aurait donné notre compte ; car, ayez une fois un peu le dessous, et vous êtes comme le gibier dans une bateau. — Le capitaine Cuff voulait dire une battue, mais son mépris pour les langues étrangères faisait que, lorsqu’il voulait en emprunter quelques mots, il les estropiait toujours, quelque connus qu’ils fussent. — Ce Raoul Yvard est un diable incarné dans un abordage, et l’on dit que, d’un seul coup de sabre, il fit sauter la tête d’un aide du master[2] du Thésée, quand il

  1. Nom que l’on donne à bord des bâtiments anglais aux canots ordinaires du bord.
  2. Master ; nom que reçoit, dans la marine anglaise, un officier chargé principalement de la route du bâtiment, des appareillages et des mouillages. Ce grade n’existe pas dans la marine française.