Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/127

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— Cela a partout l’air d’être tout de bon, répondit Raoul ; personne ne couperait la grande vergue de son ami de propos délibéré.

Dès que les équipages des cinq canots virent tomber le bout de la vergue, ils cessèrent de ramer, et poussèrent trois grandes acclamations ; Griffin, debout sur l’arrière de la launch, leur en donna lui-même le signal.

— Ah ! s’écria Raoul, il n’y a plus l’ombre d’un doute ; ce sont des Anglais ! Qui a jamais entendu nos républicains crier ainsi, comme des fantoccini italiens mus par un fil d’archal ? — Messieurs les Anglais, vos gosiers infernaux vous ont trahis. Maintenant, écoutez bien ! Vous nous entendrez bientôt conter le reste de l’histoire.

Ithuel se frotta les mains de joie ; car il était convaincu que Raoul ne pouvait plus se laisser tromper, quoique les boulets fussent échangés entre la felouque et la launch avec assez d’activité pour faire honneur à un combat bona fide. Pendant tout ce temps les avirons de la felouque frappaient l’eau sans discontinuer, car les canots gagnaient sur elle deux pieds contre un. La Divina Providenza pouvait être alors à cent cinquante brasses du lougre, et la launch, celui des canots qui était le plus près de la felouque, s’en trouvait à peu près à la même distance en arrière. Dix minutes de plus devaient certainement placer les deux combattants bord à bord.

Raoul ordonna qu’on bordât les avirons de galère du Feu-Follet, et qu’on y plaçât du monde. Les canons, — caronades de 12, — furent démarrés et amorcés. Il y en avait quatre de chaque côté, et les deux de 6 sur le gaillard d’avant furent préparés de la même manière. Quand tout fut prêt, les douze avirons du lougre tombèrent dans l’eau comme par un instinct commun, et un puissant effort poussa le lougre en avant. Au même instant le foc et le tape-cul furent cargués. Il ne fallut qu’une minute à Winchester pour être convaincu qu’une poursuite par la felouque, et peut-être même par les canots, n’offrirait aucun espoir, si le lougre tentait de leur échapper de cette manière ; car, seulement à l’aide de leurs avirons, les hommes de son équipage étaient en état de lui faire filer de trois nœuds à trois nœuds et demi par heure. Mais il ne paraissait pas songer à fuir, car il avait le cap tourné vers la Divina Providenza, comme s’il eût été trompé par l’artifice des Anglais, et qu’il eût dessein de protéger un bâtiment ami et d’en empêcher la capture.

En faisant une telle supposition, on aurait pourtant été bien loin de deviner le projet de Raoul. Il commença par placer le Feu-Follet en ligne avec la Divina Providenza et les canots ; car, dans cette position, il aurait moins à craindre le feu de ces derniers, qui avaient