Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/129

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petit esquif à s’élancer en avant, à traverser un nuage de fumée, et à augmenter d’une cinquantaine de brasses la distance qui le séparait de ses ennemis. Comme ce faible vent semblait devoir durer assez longtemps pour mettre ses canots dans le plus grand danger sous le feu des Français, Winchester leur ordonna d’abandonner la poursuite et de se rallier autour de la felouque. Griffin obéit à cet ordre, quoique à contre-cœur, et l’on eut de part et d’autre un moment pour réfléchir.

Le Feu-Follet n’avait souffert aucune avarie, mais les Anglais n’avaient pas moins d’une douzaine d’hommes tués ou blessés ; Winchester lui-même était du nombre de ces derniers, et comme il voyait que si l’on obtenait quelques succès postérieurs, on en ferait honneur à l’officier qui lui était subordonné, il s’en trouvait d’autant moins disposé à poursuivre une entreprise qui, dans le fait, n’offrait aucun espoir. Raoul était occupé d’idées fort différentes. Voyant que la frégate recevait le vent aussi bien que lui, et qu’elle s’avançait peu à peu dans la direction des combattants, il résolut de se venger de la tentative audacieuse qui avait été faite contre lui, avant de se remettre en route.

Le lougre vira donc vent devant et passa au vent de la felouque, lui envoyant une bordée chemin faisant. La Divina Providenza riposta, mais son feu cessa bientôt, et quand le Feu-Follet en fut à quelques brasses, il vit que tous les Anglais l’avaient abandonnée en emportant leurs blessés. Les canots faisaient force de rames à travers la fumée pour gagner la baie, prenant une direction opposée à celle vers laquelle le cap du lougre était tourné. Il aurait été facile aux Français de les atteindre, et peut-être de les couler à fond ou de les capturer ; mais il y avait dans le caractère de Raoul Yvard une sorte de sentiment chevaleresque qui le porta à déclarer que, comme le stratagème avait été ingénieusement conçu, et que l’exécution en avait été tentée avec courage, il ne voulait pas poursuivre plus loin son succès. Peut-être l’apparition sur le pont de Ghita, qui le conjura d’être miséricordieux, eut-elle quelque influence sur lui ; mais, au total, il est certain qu’il ne permit pas qu’on tirât un coup de canon de plus. Au lieu de profiter ainsi de son avantage, le lougre amena ses voiles de l’arrière, vira vent arrière en pivotant sur son talon, revint au vent sous le vent de la felouque, fila les écoutes des voiles de l’avant, et lofa si près de ce qu’on peut appeler sa prise, que les deux bâtiments s’abordèrent, mais si doucement qu’ils n’auraient pas, comme on dit, cassé un œuf. Un seul cordage amarra la felouque au lougre, et Raoul, Ithuel et quelques autres y passèrent.