Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/139

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marins, tout sommeille autour de nous. Eh bien, il y a de la vie là-bas à l’ouest, et il faut nous éloigner de votre chère Proserpine. Appelez tout le monde en haut, monsieur le lieutenant ; mettons les avirons dehors, et tournons le cap du Feu-Follet de l’autre côté. Peste ! le lougre est si actif et à une telle habitude d’aller droit devant lui, que je crains qu’il n’ait rampé vers son ennemi, comme un enfant rampe vers le feu qui lui brûle les doigts.

Tout fut bientôt en mouvement à bord du Feu-Follet, et l’on était sur le point de mettre la main sur les avirons, quand on vît abattre la voile de tape-cul, et le premier souffle de la brise qu’on attendait de l’ouest passa sur l’eau. Ce fut pour les marins comme s’ils eussent respiré du gaz oxygène. Tout symptôme d’assoupissement disparut à l’instant à bord des deux bâtiments, et chacun ne songea plus qu’à faire de la voile. Raoul eut une preuve de la dangereuse proximité à laquelle il se trouvait de la frégate, en entendant le son des appels qu’on y faisait ; et la mer était encore si tranquille, qu’il entendit distinctement le craquement de la vergue de misaine de la Proserpine quand les Anglais brassérèrent en mettant le petit hunier sur le mât.

En ce moment, un second souffle amena véritablement la brise. Raoul siffla pour annoncer le vent, et le lougre, se mettant en mouvement, avança vers la frégate. Mais, en une demi-minute, il eut pris de l’air suffisamment, on mit la barre dessous pour virer de bord, et il vint au vent avec autant d’aisance et de grâce que l’oiseau qui tourne sur son aile. Il n’en était pas de même de la frégate, qui exigeait plus de vent que ce léger bâtiment. Elle avait brassé ses vergues de derrière à tribord, et il lui restait à mettre le petit hunier sur le mât afin de le faire abattre, et, une fois suffisamment arrivée, à contrebrasser son petit hunier, et à mettre le vent dans ses voiles ; tandis que le Feu-Follet glissait sur l’eau, et semblait aller dans l’œil du vent. Par cette seule évolution, le lougre gagna plus d’une encâblure sur son ennemi, et cinq minutes de plus l’auraient mis hors de tout danger immédiat ; mais le capitaine Cuff savait cela aussi bien que le corsaire, et il avait pris ses mesures en conséquence. Conservant son petit hunier sur le mât, il laissa arriver jusqu’à ce que tous les canons de sa batterie pussent porter sur le lougre, et alors il fit feu en même temps de tous les canons de sa batterie de tribord, ayant pris le plus grand soin pour que chaque coup portât. Vingt-deux boulets de gros calibre, lancés tout d’un coup sur un aussi petit bâtiment que le Feu-Follet, étaient une grêle d’airain formidable, et les marins les plus hardis respiraient à peine, tandis qu’elle passait