Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/156

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plante, et avec les années un grand arbre. Or, tout cela dépend d’un principe mystérieux qui m’est inconnu, mais dont l’existence m’est démontrée, car je puis moi-même mettre ce principe en action en creusant la terre et en y plaçant une graine. Je puis même aller plus loin, du moins jusqu’à un certain point, car, en choisissant convenablement le sol et la saison, je puis accélérer ou retarder à mon gré la croissance de la plante, et même influer sur la conformation de l’arbre.

— Sans doute, Raoul ; jusqu’à un certain point, vous pouvez faire tout cela, et vous le pouvez précisément parce que vous avez été créé à l’image de Dieu. La faible ressemblance que vous avez avec cet être tout-puissant vous met en état de faire ce qui est impossible aux autres créatures. Si vous étiez son égal, vous pourriez créer le principe dont vous parlez, et que votre aveuglement prend pour celui qui en est le maître.

Ces mots furent prononcés avec plus d’émotion que Ghita n’en avait montré dans leurs fréquentes conversations sur ce sujet, et d’un ton si solennel, qu’il fit tressaillir celui auquel ils étaient adressés. Ghita n’était pas philosophe, dans l’acception commune de ce mot, tandis que Raoul croyait l’être beaucoup, malgré l’éducation imparfaite qu’il avait reçue ; et cependant les sentiments fortement religieux de la jeune fille développaient tellement ses facultés naturelles, qu’il s’étonnait souvent de l’entendre employer les meilleurs arguments à l’appui d’une cause qu’il se flattait de si bien connaître.

— Je crois, Ghita, répondit Raoul, que nous nous entendons à peine. Je ne prétends pas voir plus qu’il n’est permis à l’homme, ni comprendre plus qu’il ne lui est donné ; mais cela ne prouve rien ; car l’éléphant comprend plus que le cheval, et le cheval plus que le poisson. Il y a un principe qui gouverne tout dans le monde, et ce principe, nous l’appelons la nature. C’est elle qui a produit tous ces mondes que nous voyons parcourir l’espace, et tous les mystères de la création, et une de ses lois, c’est que rien de ce qu’elle a produit ne comprendra ses secrets.

— Vous n’avez qu’a vous imaginer que votre principe est un esprit, Raoul, un être qui ne peut tomber sous nos sens, pour avoir le Dieu des chrétiens. Est-il plus difficile de croire en lui qu’en votre principe inconnu, comme vous l’appelez ? Vous savez que vous pouvez construire un lougre, — trouver dans le soleil et les astres, à l’aide de votre raison, les moyens de traverser le vaste Océan, — pourquoi ne pas supposer qu’il existe un être supérieur qui peut faire encore