Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/158

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mura Raoul quand le dernier son eut expiré sur les lèvres de sa maîtresse, ce seraient les accents de votre voix mélodieuse. — Comment donc, monsieur Itouel ! êtes-vous aussi un amateur de musique sacrée ?

— La signora à une voix rare, capitaine Roule. Mais nous avons à songer à d’autres affaires. Si vous voulez passer sur l’avant, vous pourrez jeter un coup d’œil sur la petite felouque qui, depuis trois heures, a rampé le long du rivage en avant de nous. J’y vois je ne sais quoi qui ne me paraît pas naturel. Elle semble se rapprocher de nous, et on ne lui voit pas le moindre mouvement dans l’eau. Je regarde cette dernière circonstance comme contre nature pour un bâtiment qui à toutes ses voiles dehors, et avec la brise qu’il fait.

Raoul serra la main de Ghita, et l’invita à descendre dans sa chambre, car il craignait que l’air de la nuit ne nuisît à sa santé. Il se rendit ensuite sur l’avant, d’où il pouvait voir celle des trois felouques qui était le plus près de la côte, aussi bien que l’obscurité le permettait, et il éprouva quelque inquiétude en la voyant à si peu de distance du lougre. La dernière fois qu’il en avait remarqué la position, elle était au moins à un demi-mille de distance, et semblait passer en travers sur l’avant du Feu-Follet, avec assez de vent pour avoir fait depuis ce temps un mille en avant, et cependant il ne put voir qu’elle se fût avancée dans cette direction autant qu’elle avait dérivé vers le lougre.

— L’avez-vous examinée longtemps ? demanda-t-il à Ithuel.

— Depuis qu’elle a paru rester stationnaire, et il y a maintenant une vingtaine de minutes. Je suppose que c’est un bâtiment mauvais voilier ; il a été plusieurs heures à faire une lieue, et il y a assez d’air pour qu’un pareil esquif file trois nœuds par heure ; il est aisé de comprendre comment il dérive vers nous, car cette rivière a un courant très-fort, comme vous pouvez le voir par le bouillonnement de l’eau sous notre taille-mer ; mais, en même temps, je ne vois rien qui puisse l’empêcher d’aller en avant. J’en ai déterminé la position, il y a au moins un quart d’heure, par la lumière que vous voyez ici en ligne avec la montagne la plus voisine ; et depuis ce temps il n’a pas avancé de cinq fois sa longueur.

— Ce n’est qu’un bâtiment côtier de l’île de Corse, après tout, Ithuel. Je ne puis croire que les Anglais voulussent renouer connaissance avec notre mitraille, et tenter un nouvel abordage pour le plaisir de se faire battre une seconde fois.

— Dieu seul le sait : les hommes à bord de cette frégate sont des démons incarnés. Voyez ! il fait une bonne brise de nuit, et cette fe-