Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/196

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timent ! la scène qui va s’y passer n’est faite ni pour ton sexe ni pour ton âge. — Que Dieu te protège, ma chère enfant ! Plût au ciel que je t’eusse connue plus tôt, car cette courte entrevue a soulagé mon cœur. Tu ne trouvés en moi ici qu’un pauvre criminel condamné, hors d’état de pourvoir à tes besoins futurs. Je puis pourtant encore faire du moins quelque chose pour toi. Tu vois ce sac ; prends-le. Il est plein d’or, un parent me l’a envoyé croyant qu’il pourrait m’être utile pour détourner le destin qui m’attend ; mais rien ne peut me sauver ; et, avec tes habitudes simples et modestes, cet or suffira pour te mettre toute ta vie dans l’aisance.

Ghita, les yeux humides, repoussa le sac d’or ; mais elle pressa la croix sur son cœur, et la porta avec respect à ses lèvres.

— Non, grand-papa, répondit-elle, je ne le désire pas. Cette croix me suffit, et je la conserverai jusqu’à mon dernier soupir. Je vais quitter ce bâtiment ; mais je n’irai pas bien loin. Je vois plusieurs bateaux autour de cette frégate ; nous y trouverons sans doute celui qui nous a amenés. Je ne cesserai pas de prier Dieu pour vous tant que vous vivrez, et j’en ferai autant tous les jours après votre mort. — Il ne faut pas d’or pour acheter les prières d’une fille.

Don Francesco regarda la jeune enthousiaste avec un air de profonde tendresse, la serra encore une fois dans ses bras, et lui donna de nouveau sa bénédiction. En ce moment, on piqua un coup à bord du Foudroyant, et l’on en fit autant sur les autres bâtiments anglais et napolitains. Caraccioli, marin lui-même, savait que ce signal annonçait quatre heures et demie ; et il n’ignorait pas que cinq heures étaient l’instant fixé pour son exécution. Il jugea donc nécessaire de congédier la petite-fille qu’il venait de voir pour la première fois, afin de pouvoir passer encore quelques minutes seul avec son confesseur. Leur séparation fut touchante et solennelle, et lorsque Ghita fut sortie de la chambre, son aïeul éprouva la même angoisse que s’il eût dit adieu pour toujours à un être qu’il eût longtemps aimé, et dont les vertus auraient fait ses délices depuis sa naissance.

La scène qu’offrait le pont de la Minerve était triste et lugubre. Quoique le prisonnier eût été condamné par un conseil de guerre composé d’officiers napolitains, le jugement avait été rendu sous le pavillon anglais, et l’intérêt public s’attachait au condamné. Il n’y avait aucune nécessité pour la hâte extraordinaire avec laquelle toute cette affaire avait été conduite ; car il n’existait aucun danger immédiat, et l’exemple aurait fait plus d’impression, si la condamnation avait paru le résultat d’une délibération calme, au lieu d’avoir l’air du désir impatient d’une vengeance personnelle. Personne à bord ne