Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/198

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— Je sais cela, signor Carlo, répondit le batelier, et je veillerai à ce que personne ne puisse vous importuner.

Ghita poussa un cri de surprise, que la prudence étouffa, en levant les yeux sur le batelier ; car elle s’aperçut, pour la première fois, que le prétendu lazzarone n’était autre que Raoul Yvard. Comme Giuntotardi avait presque toujours l’esprit trop occupé pour être bon observateur, il ne reconnut pas le jeune corsaire sous son déguisement, et celui-ci, faisant signe à Ghita d’user de discrétion, continua à ramer.

— Soyez tranquille, Ghita, lui dit son oncle, le moment n’est pas arrivé, et nous avons encore vingt minutes pour faire des prières.

Ghita était pourtant bien loin d’être tranquille. Elle voyait tout le danger que son amant courait, et elle sentait que c’était pour elle qu’il s’y était exposé. Sa présence troublait même les sentiments solennels que lui inspirait la scène qui allait se passer, et elle aurait voulu, pour plus d’une raison, qu’il ne fût pas auprès d’elle en ce moment. Il y était pourtant, et au milieu de ses ennemis ; et il aurait été contre nature qu’une jeune fille de son âge, et avec la tendresse qu’elle avait pour lui, n’eût pas éprouvé une tendre gratitude pour celui qui avait, en quelque sorte, mis sa tête dans la gueule du lion pour lui rendre service. Ghita n’avait pas fait un mystère à Raoul de sa parenté avec la famille Caraccioli, et il comprenait fort bien pourquoi elle était là, et quel motif l’y avait conduite. Quant à elle, elle jetait des regards timides de tous côtés, craignant que le lougre n’eût aussi été amené parmi la foule de bâtiments qui couvraient le mouillage. Mais Raoul était trop fin pour avoir commis une pareille faute, et elle n’aperçut rien qui ressemblât au Feu-Follet.

Le lecteur doit avoir compris qu’un grand nombre de bâtiments de guerre, anglais, russes, turcs et napolitains, étaient alors à l’ancre dans la baie. Comme les Français occupaient encore le château Saint-Elme, citadelle qui couronne les hauteurs, qui, à leur tour, couronnent la ville, ces bâtiments n’étaient pas à l’ancre tout à fait aussi près du môle que de coutume, de peur qu’un boulet lancé par les batteries des ennemis ne pût les atteindre, mais ils en étaient assez près pour permettre à tous les oisifs et à tous les curieux de Naples qui en avaient le courage et les moyens, de venir assister à la triste scène qui allait se passer. À mesure que l’heure en approchait, de nouveaux bateaux arrivaient ; et la Minerve fut enfin entourée d’une foule de spectateurs dont un grand nombre appartenaient même aux plus hautes classes de la société.

La distance entre la frégate napolitaine et le vaisseau du contre-