Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/224

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finissaient cette besogne, quand le capitaine remonta sur le pont. Dès qu’on eut ainsi diminué la voilure, on mit la barre à bâbord, la frégate vint au vent sur le tribord amures ; le grand hunier fut mis sur le mât, et le canot se trouva ainsi sous le vent du bâtiment, le long du bord. Dès que cette manœuvre fut exécutée, un matelot se laissa glisser légèrement de la frégate dans le canot. Après avoir examiné en avant et en arrière, il s’écria : Tout est bien, et il repoussa le canot à une petite distance de la frégate. Les palans d’étai et de bouts de vergues furent de suite descendus dans le canot, et accrochés aussitôt aux boucles par le matelot anglais qui s’y trouvait déjà. Le maître de manœuvre donna un coup de sifflet pour avertir d’abraquer le mou des garants, et, après un autre coup de sifflet prolongé, suivi du commandement : « Hissez rapidement ! » le canot fut aussitôt enlevé, avec tous ceux qui étaient dedans, à la hauteur des bastingages du passe-avant, les palans d’étai ayant été embraqués et ceux de bouts de vergues filés. Le canot fut alors déposé sur le passe-avant, avec autant de précaution que s’il eût été de verre, et aussi aisément que s’il n’eût pas pesé plus qu’un hamac. Ghita poussa un léger cri en se voyant enlevée en l’air, et baissant la tête sur ses genoux elle attendit le résultat en tremblant. Le mouvement tira un instant Carlo Giuntotardi de son apathie ordinaire, mais voilà tout. Quant à Ithuel, il songea un instant à se jeter à la mer, pour gagner la terre à la nage, car il se croyait en état de faire une lieue en nageant ; mais il réfléchit qu’un canot mis à sa poursuite l’atteindrait infailliblement, et, ne pouvant éviter d’être pris, il aima mieux l’être sans se fatiguer.

Il n’est pas facile de décrire les sensations qu’éprouva cet Américain quand il se trouva de nouveau sur le pont de son ancienne prison, avec le danger d’être reconnu et traité comme déserteur. Il peut paraître révoltant de supposer qu’un étranger, contraint par la violence d’entrer au service d’une autre nation, puisse se trouver ensuite exposé à être condamné à mort pour avoir usé du droit que lui donnait la nature de mettre fin à cet esclavage par la fuite, quand l’occasion s’en est présentée à lui. Le dernier siècle a pourtant vu bien des scènes d’injustice semblables ; et en dépit de toute la prétendue philanthropie de celui-ci, et des rêves de paix éternelle qu’il est à la mode d’opposer aujourd’hui à toutes les leçons de l’expérience, le siècle prochain en produira de pareilles. À moins que le bon sens de l’Amérique ne répande dans les corps législatifs de la confédération des idées politiques plus justes, des vues plus étendues de leurs devoirs, et des connaissances plus exactes de la situation des diverses nations