Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/249

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— Je savais que ce témoin nous apprendrait tout ! s’écria Cuff, qui ne put s’empêcher de montrer le soulagement qu’il éprouvait après avoir obtenu cette déclaration.

— Vous dites que tout cela est à votre su ? reprit le procureur du roi.

— Messieurs, dit Raoul se levant, voulez-vous me permettre de parler ? Cette scène est cruelle, et plutôt que d’avoir à la supporter, — plutôt que de laisser une cause de chagrin futur à cette chère fille, — ce que je sais qui arriverait, — je vous prie de lui permettre de se retirer, et je vous promets d’avouer tout ce que vous pouvez espérer de prouver par son témoignage.

Il s’ensuivit une courte consultation, après quoi il fut permis à Ghita de se retirer ; mais la physionomie de Raoul lui avait donné l’alarme, quoiqu’elle ne comprît pas ce qui avait été dit en anglais, et elle ne pouvait se décider à quitter la place sans en savoir davantage.

— Ai-je dit quelque chose qui puisse vous nuire, Raoul ? demanda-t-elle avec inquiétude. J’ai fait un serment sur la parole de Dieu et sur sa sainte croix. Si j’avais prévu qu’il pût en résulter quelque mal pour vous, l’autorité de tout le royaume d’Angleterre n’aurait pu m’obliger à le prêter ; et alors j’aurais pu garder le silence.

— N’importe, chère Ghita, il faut que les faits soient connus de manière ou d’autre ; et en temps convenable vous saurez tout ! — Et maintenant, Messieurs continua-t-il quand la porte se fut fermée après le départ de Ghita, il n’y a plus besoin de dissimulation entre nous. Je suis Raoul Yvard, celui pour qui vous me prenez, et que plusieurs de vous doivent connaître. J’ai combattu vos canots, monsieur Cuff, j’ai évité votre brûlot et je vous ai procuré une chasse joyeuse autour de l’île d’Elbe. J’ai trompé le signor Barrofaldi et son ami le podestat, et le tout pour l’amour de la belle et modeste jeune fille qui vient de quitter cette chambre. — Nul autre motif ne m’a conduit à Porto-Ferrajo, ou dans la baie de Naples, — nul autre, sur l’honneur d’un Français !

— Hem ! murmura Lyon. Il faut convenir, sir Frédéric, que ce prisonnier invoque une autorité très-respectable !

En toute autre occasion, l’antipathie et les préventions nationales auraient pu faire sourire l’assemblée à cette saillie ; mais il y avait dans les manières et sur les traits de Raoul tant d’ardeur et de sincérité, que, si l’on n’accordait pas une confiance entière à ses paroles, du moins elles imposaient le respect. Il était impossible de rire aux dépens d’un tel homme, et des préventions longtemps nourries disparurent devant le ton noble et mâle de ses déclarations.