Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/260

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premier lieutenant est allé à un autre rendez-vous que je lui ai donné, que le témoin ne connaît pas, et que bien certainement je ne vous ferai jamais connaître.

Raoul montrait tant de fermeté et un air de dignité si tranquille, que tout ce qu’il disait faisait impression. Sa réponse avait rendu inutile d’insister pour en obtenir une d’Ithuel. Le procureur du roi fit encore quelques questions ; mais elle ne prirent que peu d’instants. Le prisonnier avait avoué son identité, les circonstances qui avaient accompagné son arrestation étaient prouvées ; il ne restait plus qu’à entendre sa défense.

Quand Raoul se leva pour parler, l’émotion lui ôta presque l’usage de la voix ; mais il surmonta bientôt cette faiblesse, et il s’exprima d’un ton aussi ferme que calme, son accent étranger prêtant de l’énergie et de l’intérêt à plusieurs de ses expressions.

— Messieurs, dit-il, je ne chercherai à cacher ni mon nom, ni mon caractère, ni ma profession. Je suis Français et l’ennemi de votre pays. Je suis aussi l’ennemi du roi de Naples, sur les domaines duquel vous m’avez trouvé. J’ai détruit ses bâtiments et les vôtres. Mettez-moi encore à bord de mon lougre et j’agirais de même. Tout ce qui est ennemi de la France est ennemi de Raoul Yvard. Des marins honorables tels que vous, Messieurs, peuvent le comprendre. Je suis jeune ; mon cœur n’est pas de pierre, et quelque mauvaise idée que vous puissiez en avoir, il peut aimer la beauté, la modestie et la vertu dans l’autre sexe. Telle a été ma destinée : — j’aime Ghita Caraocioli, et depuis un an je cherche à l’épouser. Elle ne m’a pas autorisé à dire qu’elle y ait consenti, il faut que je l’avoue ; mais elle n’en est pas moins adorable à mes yeux. Nos opinions sur la religion ne s’accordent pas, et je crains qu’elle n’ait quitté le mont Argentaro parce que, ayant refusé ma main, elle croyait préférable que nous ne nous vissions plus. C’est ainsi que sont les jeunes filles, vous devez le savoir, Messieurs. Mais il n’est pas ordinaire que nous, qui avons moins de délicatesse, nous nous soumettions si facilement à de tels sacrifices. J’ai appris où Ghita était allée et je l’ai suivie. Sa beauté était un aimant qui attirait mon cœur, comme le pôle du nord attire nos aiguilles. Il était nécessaire d’entrer dans la baie de Naples, au milieu des bâtiments ennemis, pour chercher celle que j’aimais ; et c’est autre chose que de s’engager dans le misérable métier d’espionnage. Qui d’entre vous, Messieurs, n’en aurait pas fait autant ? Vous êtes de braves Anglais, et je sais que vous n’auriez pas hésité. Je vois parmi vous deux jeunes gens comme moi, ils doivent sentir le pouvoir de la beauté ; et même ce capitaine, qui n’est plus