Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/265

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peine à croire qu’un bâtiment français, petit ou grand, osât aller jeter l’ancre sous le nez de Nelson.

— Ce serait à peu près comme l’agneau se couchant à côté du loup, dit Cuff ; et par conséquent cela n’est pas très-vraisemblable. Monsieur Winchester, n’est-ce pas notre canot qui arrive sur notre hanche ?

— Oui, capitaine ; le voila de retour de Naples. Aide-timonier !

— oui, aide-timonier ! s’écria Cuff d’un ton sévère, est-ce ainsi que vous faites attention à vos devoirs, Monsieur ? Voici notre canot sur le point de nous aborder, et vous êtes muet sur un fait si important ?

Ce mot, monsieur, est très-usité à bord d’un bâtiment de guerre. Prononcé par un inférieur, il semble aussi naturel qu’un don venant du ciel aux oreilles du supérieur auquel il s’adresse. D’égal à égal, il a un air de cérémonie et de réserve qui est un signe, tantôt de respect, tantôt de manque de respect. Mais dans la bouche d’un supérieur, ce mot implique toujours un reproche, sinon une menace. En semblable occasion, le mieux que puisse faire la partie la plus faible, c’est de garder le silence ; et l’on n’apprend nulle part cette vérité plus vite que sur un bâtiment. L’aide-timonier ne répondit donc rien, et l’officier qui avait porté à Nelson la sentence du conseil de guerre monta à bord, et remit au capitaine Cuff la réponse de l’amiral.

— Voyons ! dit Cuff ouvrant l’enveloppe de cette dépêche intéressante, dès qu’il fut arrivé dans sa chambre avec ses deux confrères. « Approuvé. Ordonné que la sentence sera mise à exécution à bord de la frégate de Sa Majesté la Proserpine, demain dans la journée, entre le lever et le coucher du soleil. »

Suivaient ensuite la date et la signature bien connue de « Nelson et Bronté. » C’était à quoi Cuff s’attendait, et même ce qu’il désirait, mais il aurait voulu avoir plus de latitude pour le temps de l’exécution ; car il ne faut pas que le lecteur suppose que notre capitaine était cruel et vindicatif, et qu’il désirait réellement infliger une peine à Raoul Yvard pour le punir d’avoir déjoué ses tentatives et d’avoir fait éprouver une défaite à ses canots. Il en était si loin que son seul but était de faire servir la sentence de mort prononcée contre le prisonnier, à obtenir de lui la connaissance des ordres qu’il avait laissés sur son lougre avant de le quitter, et de faire ensuite valoir cet aveu pour obtenir qu’on lui fît grâce de la vie et qu’on le traitât comme prisonnier de guerre. Cuff n’avait pas une grande vénération pour les corsaires, et l’idée qu’il se faisait de leur moralité n’était