Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/277

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qu’on suivait une fausse piste, et que le bâtiment qu’on voyait sous le vent était le Ringdove ; Lyon, dans son empressement de capturer le lougre avant qu’aucune des frégates pût l’avoir vu, ayant fait avancer sa corvette jusque dans la baie, et offert ainsi un faux appât à Cuff et à sir Frédéric.

— Il ne peut plus y avoir aucun doute, s’écria le capitaine Cuff, baissant sa longue-vue avec un dépit trop marqué pour qu’on pût s’y méprendre, c’est un grand bâtiment, et, comme vous le dites, Winchester, ce ne peut être que le Ringdove. Mais que diable fait-il là ? c’est ce que je ne saurais dire, à moins que Lyon n’ait aperçu quelque chose près du rivage. Comme il est évident qu’il n’y a rien par ici, nous porterons vers ce côté, et nous reconnaîtrons nous-mêmes quel y est l’état des choses.

Ces mots firent presque disparaître tout espoir de succès. Les officiers commencèrent à croire que l’homme en vigie qui avait annoncé qu’il voyait le lougre s’était trompé, et que ce qu’il avait pris pour un lougre était dans le fait une felouque, ou un chebec, bâtiment qui, à une distance de quelques lieues, pouvait ressembler à un lougre. C’était pourtant à bord de la frégate que l’erreur avait été commise. L’officier envoyé sur les hauteurs était le premier aide du master, homme habile et expérimenté, connaissant parfaitement tout ce qui appartenait à sa profession, mais ne sachant guère autre chose. Sans l’habitude qu’il avait de boire, il aurait été lieutenant depuis longtemps, car il avait l’ancienneté sur Winchester ; mais connaissant lui-même son faible, et sorti d’une classe dans laquelle on est habitué à regarder l’avancement comme une faveur du ciel, plutôt que comme un droit, il s’était depuis longtemps résigné à vivre et à mourir dans le grade qu’il occupait, perdant même à peu près tout désir de s’élever plus haut. Par suite de l’expérience qu’il avait acquise dans le cercle de ses devoirs, ses officiers supérieurs avaient du respect pour son opinion quand il n’était pas gris ; et comme il était assez prudent pour ne jamais se griser quand il était de service ou qu’il avait quelque devoir à remplir, son malheureux penchant l’entraînait rarement dans quelque embarras sérieux. Comme dernière espérance, Cuff l’avait envoyé sur les hauteurs de Campanella, avec une conviction intime que si quelque bâtiment était en vue, il ne manquerait pas de l’apercevoir. Toute cette confiance avait enfin fait place au désappointement, et quand, une demi-heure plus tard, on lui annonça que M. Clinch arrivait dans le canot qu’il avait pris pour aller à Campanella, il ne put, se défendre d’un mouvement de colère contre un homme qui était un de ses favoris.