Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/286

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Il y a des instants dans la vie de l’homme où quelques mots de bonté et un ou deux actes d’amitié pourraient arracher à leur perte des milliers d’êtres humains. Telle était la crise qui avait lieu en ce moment dans le destin de Clinch. Il avait presque renoncé à toute espérance, quoiqu’il la sentît se ranimer toutes les fois qu’il recevait une lettre d’encouragement de sa fidèle Jane, qui refusait de croire rien qui fût au préjudice de celui qu’elle aimait, et qui s’abstenait religieusement de jamais lui faire aucun reproche. Mais il est nécessaire de connaître toute l’influence du rang à bord d’un bâtiment de guerre pour bien comprendre l’effet que les discours et les manières du capitaine produisirent sur l’aide-master. Des larmes lui tombèrent des yeux, et il serra la main de son commandant presque convulsivement.

— Que puis-je faire, capitaine ? s’écria-t-il. Jamais je ne néglige mon service ; mais quand je ne suis pas occupé, mon fardeau devient si lourd à supporter, que je suis obligé d’appeler la bouteille à mon aide.

— Quand un homme boit des liqueurs fortes par un tel motif, Clinch, il ferait mieux de s’en abstenir tout à fait ; il ne peut se fier à lui-même, et ce qu’il appelle son soutien le prive de ses forces morales et physiques. Prenez une ferme résolution ; refusez même vos rations. Une semaine, un seul jour, peut vous mettre en état de triompher de votre faiblesse, en vous laissant le libre exercice de votre raison. Votre absence pendant vingt-quatre heures vous a rendu service à cet égard, et le peu que vous venez de boire ne peut vous nuire. Nous sommes occupés en ce moment d’un service très-important, et je vais vous charger d’une mission qui peut avoir des suites avantageuses pour vous. Que votre nom soit honorablement mentionné dans une dépêche, et vous êtes sûr d’obtenir une commission. Nelson aime à donner de l’avancement aux anciens marins ; mettez-moi en état de lui demander le vôtre, et je réponds que ce sera un plaisir pour lui de vous l’accorder. La nuit que vous avez passée sous le toit de cette vieille femme peut avoir un heureux résultat, mais songez à ne pas barrer le chemin à la fortune.

— Que Dieu vous protège, capitaine Cuff ! que Dieu vous récompense ! répondit Clinch d’une voix que son émotion rendait tremblante. Je ferai tous mes efforts pour suivre vos sages conseils.

— Songez à votre mère ; — songez à votre pauvre Jane ! Quand une pareille femme fait dépendre d’un homme tout le bonheur de son existence, cet homme serait un misérable s’il ne faisait que des efforts infructueux.

Clinch poussa un gémissement. Le capitaine avait enfoncé la sonde