Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/287

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jusqu’au fond de la blessure, mais c’était dans la vue de la guérir. Après avoir essuyé la sueur qui lui couvrait le front, l’aide-master reprit pourtant quelque empire sur lui-même et parut plus calme.

— Si la main d’un ami, capitaine Cuff, dit-il, voulait seulement me montrer le chemin que je dois suivre pour regagner quelque chose du terrain que j’ai perdu, ma reconnaissance pour lui durerait autant que ma vie.

— Eh bien ! je vous en donnerai un moyen. Nelson attache autant d’importance à la capture de ce lougre qu’il en ait jamais mis à la rencontre d’une escadre ennemie. L’officier qui se rendra utile en cette occasion peut être sûr de ne pas être oublié, et je vous en donnerai tous les moyens qui sont en mon pouvoir. Allez mettre votre plus bel uniforme ; qu’on reconnaisse en vous un gentleman ; comme je sais que vous pouvez l’être, et tenez-vous prêt à partir sans délai sur un canot. J’ai à vous charger d’une mission qui sera pour vous le commencement d’une meilleure fortune, si vous êtes fidèle à votre mère, à Jane et à vous-même.

Ce discours donna une nouvelle vie à Clinch. Depuis bien des années il avait été négligé et oublié, si ce n’est dans les moments où l’on avait besoin des services d’un marin consommé. Il avait obtenu d’être transféré à bord d’un bâtiment commandé par un de ses anciens compagnons, et il semblait n’y avoir rien gagné. Cependant un changement venait d’arriver, et un rayon plus brillant qu’il n’en avait jamais vu se montrait à lui dans les ténèbres de l’avenir. Cuff lui-même fut surpris de l’ardeur qu’il remarqua dans ses traits et de la vivacité de ses mouvements, et il se reprocha d’avoir été si longtemps indifférent aux intérêts d’un homme qui avait certainement quelques droits à son amitié. Il n’y avait pourtant rien de bien extraordinaire dans la situation relative de ces deux anciens compagnons. Cuff, protégé par une famille noble et par des amis en crédit, n’avait jamais eu lieu de se livrer au découragement, et il avait suivi sa carrière avec autant de succès que de zèle. Clinch, au contraire, sans autre appui que celui qu’il pouvait trouver en lui-même, n’avait jamais eu l’occasion de se distinguer d’une manière assez brillante pour obtenir de l’avancement sans protection ; il avait été bien des années avant d’arriver au grade subalterne d’aide-master ; et la funeste habitude qu’il avait contractée par dégoût et par dépit, l’avait ensuite empêché de s’élever plus haut. De pareils exemples ne sont pas rares, même dans une marine où l’avancement est aussi régulier que celle de l’Amérique ; et il est rare qu’un homme regagne le terrain perdu, quand il se trouve dans des circonstances aussi critiques.