Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/290

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et pour tout dire, bien des officiers auraient préféré le voir noyé que pendu à la vergue de misaine.

Raoul passa donc la nuit qui suivit sa condamnation et la matinée suivante dans cette prison étroite. Nous lui supposerions plus de stoïcisme qu’il n’en avait véritablement, si nous le représentions comme indifférent à sa situation. Bien loin de là, les moments qu’il passait étaient pleins d’amertume, et son angoisse aurait été portée à l’extrême, s’il n’eût été soutenu par une forte résolution de mourir, comme il le pensait, en Français. Les nombreuses exécutions qui avaient eu lieu par la guillotine avaient mis en quelque sorte le courage à la mode en pareilles circonstances ; et il y avait peu de personnes qui ne subissent la mort avec fermeté. Notre prisonnier était pourtant dans un cas différent. Soutenu par un courage intrépide, il aurait fait face au plus grand tyran de la terre, même dans ses plus furieux accès de rage, et il se serait présenté à la mort avec sang-froid, sinon avec dédain : mais il était jeune, il aimait ; et ce dernier et terrible changement ne pouvait approcher sans amener avec lui un morne désespoir qui n’était adouci par aucune considération consolante, basée sur l’avenir. Il croyait fermement que son arrêt était irrévocable, et cela moins à cause du crime imaginaire d’espionnage dont il avait été accusé, que pour le tort immense et bien connu qu’il avait fait au commerce anglais. Raoul savait haïr, et il haïssait à la mode des anciens temps, mode qui, à ce que nous craignons, et en dépit d’une énorme masse de philanthropie équivoque qui maintenant circule de bouche en bouche et coule de plume en plume, continuera à être celle des temps à venir. Il détestait donc du fond du cœur le peuple auquel il faisait la guerre, et par conséquent il était prêt à croire toutes les calomnies qu’une rivalité politique pouvait inventer ; disposition d’esprit qui le portait à penser que sa vie ne pèserait qu’une plume, mise dans la balance contre ascendant et les intérêts commerciaux de l’Angleterre. Il regardait les habitants de la Grande-Bretagne comme formant une nation boutiquière ; et tandis qu’il suivait lui-même une profession qui est marquée au front du sceau de la rapacité, il considérait sa carrière comme comparativement martiale et honorable ; et à la vérité la manière dont il avait exercé ce métier prouvait que ces deux épithètes pouvaient quelquefois lui être appliquées. En un mot, Raoul ne connaissait pas Cuff plus que Cuff ne le connaissait lui-même, ce qui paraîtra suffisamment clair d’après l’entrevue dont nous allons rendre compte.

Le prisonnier reçut deux ou trois visites amicales dans le cours de la matinée, entre autres celle de Griffin, qui crut de son devoir,