Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/296

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— Au total, Griffin, c’est une affaire très-pénible. Il n’y a nul doute que ce Raoul Yvard ne soit, en termes techniques, un espion, et qu’il n’ait été condamné avec toutes les formes légales ; mais je n’ai pas le moindre doute de la vérité de son histoire. Cette Ghita Caraccioli, comme cette jeune fille s’appelle, est l’image de la vérité, et je l’ai vue avant-hier à bord du Foudroyant, dans la chambre de Nelson, dans des circonstances qui ne me laissent aucun doute sur la simplicité et la véracité de son caractère. Or, ce qu’elle nous a dit est d’accord avec l’histoire que conte le corsaire. Même le vitché et le gros et vieux podestat la confirment ; car ils ont vu Ghita à Porto-Ferrajo, et ils commencent à croire que ce Français n’est entré dans ce port que pour elle.

— Je ne doute nullement, capitaine, que lord Nelson n’accordât un sursis à l’exécution, ou même un pardon pur et simple, si les faits lui étaient présentés sous leur vrai jour, dit Griffin, qui prenait alors un intérêt généreux à la vie de l’homme qu’il avait cherché à faire périr quelques semaines auparavant en voulant incendier son lougre ; mais telle est la nature étrange de l’homme, et tels sont les sentiments contradictoires que font naître dans son cœur les incidents de la guerre.

— C’est là la partie la plus sérieuse de l’affaire, Griffin ; la sentence a été approuvée, et j’ai reçu ordre de la faire exécuter aujourd’hui entre le lever et le coucher du soleil. Or, il est déjà midi, et nous sommes au sud de Campanella, et si loin du vaisseau amiral, qu’il est impossible d’avoir avec lui des communications par signaux.

Griffin tressaillit, les graves difficultés de l’affaire se présentant toutes à son imagination en un moment. D’après les habitudes du service, on ne pouvait retarder l’exécution d’un ordre, et surtout d’un ordre donné dans une circonstance aussi grave. C’était un embarras sérieux, un embarras dont il ne voyait aucun moyen de sortir.

— Juste ciel ! capitaine, que cela est malheureux ! s’écria-t-il. Un exprès dépêché par terre ne pourrait-il arriver assez à temps au vaisseau amiral ?

— J’y ai pensé, et j’ai donné cette mission à Clinch.

— Clinch ! — Pardon, capitaine, mais un tel devoir exige un officier actif, et surtout… sobre.

— Clinch ne manque pas d’activité, et je sais que le malheureux penchant qui le domine ne prendra pas l’ascendant sur lui aujourd’hui. Je lui ai ouvert un chemin pour obtenir une commission, et personne sur mon bord n’est en état d’arriver à Naples sur un canot en moins de temps que lui. Il profitera de la brise de l’après-midi