Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/323

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— Chut ! dit une voix près de son oreille ; — c’est moi, — c’est Ithuel : — voici le moment de nous échapper.

Raoul avait trop d’empire sur lui-même pour que l’étonnement lui arrachât une exclamation ou un geste qui aurait pu le trahir, mais en un instant toutes ses facultés furent sur le qui-vive. Il savait qu’Ithuel était un homme à ressources, et l’expérience lui avait appris qu’il avait l’esprit entreprenant et audacieux quand les circonstances l’exigeaient. L’Américain avait donc conçu quelque plan qu’il croyait devoir réussir, sans quoi cet homme circonspect ne se serait pas hasardé à se mettre dans une situation qui ne pouvait manquer d’attirer sur lui une punition sévère, s’il était découvert. Il était à cheval sur une des chaînes du grand porte-hauban, position dans laquelle il était possible qu’il restât sans être aperçu tant qu’il ferait nuit, mais qui, s’il était vu, devait nécessairement le faire soupçonner de quelque mauvaise intention.

— Que voulez-vous dire, Itouel ? dit Raoul à voix basse, quoique ses compagnons fussent trop occupés de leur discussion pour l’entendre.

— L’Italien et sa nièce vont retourner à terre sur notre canot, répondit Ithuel du même ton. Tout est arrangé et concerté. J’ai pensé que vous pouviez passer par un sabord dans l’obscurité, et vous échapper avec eux. — Soyez tranquille — j’ai l’œil à tout.

Raoul savait fort bien qu’un sursis n’était pas un pardon, et il n’ignorait pas que tout ce qu’il pouvait espérer de plus favorable était d’être envoyé en Angleterre comme prisonnier de guerre, tandis que l’autre côté du tableau lui offrait en perspective la liberté et Ghita. Tout était en tumulte dans son cœur, mais il se rendit maître de son émotion.

— Quand, cher Itouel, quand ? demanda-t-il d’une voix que son agitation rendait tremblante, malgré tous ses efforts pour être calme.

Teo der sweet, répondit Ithuel, voulant dire en français, tout de suite ; le canot est près du passe-avant, le vieux Giuntotardi y est déjà assis, et l’on prépare une chaise pour y descendre la jeune fille. Tenez, voilà qu’on l’y place. — Entendez-vous le coup de sifflet ?

Raoul entendit parfaitement le maître d’équipage qui sifflait, amenez ! En ce moment, il écouta avec attention, toujours étendu sur le palan du canon, et bientôt il distingua le clapotis de l’eau à mesure que le canot était halé de l’avant pour le placer sous la chaise, et ensuite le bruit des avirons quand Ghita fut descendue et assise sur l’arrière. — Brassez la grande vergue ! cria alors l’officier