Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cipes une sorte d’armure morale qui la mettait à l’épreuve de tous les assauts de ce monde.

Notre héros trouva Ithuel dormant tranquillement dans le canot. L’homme du Granit avait bien compris sa situation ; et prévoyant qu’il aurait à ramer longtemps, il s’était couché sur le banc de l’arrière de sa yole, et reposait aussi paisiblement qu’il l’eût jamais fait à bord du Feu-Follet. Raoul ne put même l’éveiller qu’avec difficulté, et Ithuel reprit l’aviron avec répugnance. Avant de descendre du haut du rocher, Raoul avait jeté un coup d’œil sur la surface de la mer, et alors il écouta avec attention pour saisir quelques sons qui auraient pu venir des canots anglais ; mais rien n’était visible dans l’obscurité, et la distance ou les précautions qu’on prenait empêchaient aucun son d’arriver à l’oreille. Convaincu qu’il n’y avait point de danger à craindre au dehors, il se décida à sortir de la baie, et, faisant un détour pour éviter ses ennemis, à s’avancer vers l’ouest dans l’espoir de trouver son lougre au large. Comme il y avait dans ce moment une forte brise de terre et que le canot était beaucoup moins chargé, il n’était guère douteux qu’il ne réussît du moins à se mettre hors de vue, longtemps avant le retour du jour.

— Ma foi, Ithuel, s’écria Raoul après avoir donné à l’Américain un troisième coup de coude, vous dormez comme un capucin payé pour dire des messes à minuit. Venez, mon cher ; maintenant il faut se mettre en route, car la mer est libre au large.

— Eh bien, on dit que la nature est un bon ouvrier, capitaine Roule, répondit Ithuel en bâillant et en se frottant les yeux ; et elle n’a jamais fait une plus jolie cachette que celle-ci. On y dort si tranquillement ! Mais je suppose qu’il est temps de faire jouer les avirons, ou nous courons risque de ne pas revoir encore la France. Poussez l’avant du canot, capitaine Roule ; voici le trou, qui est presque aussi difficile à trouver qu’il le serait de faire passer un câble par le trou d’une aiguille. Poussez vivement, et nous serons bientôt au large.

Raoul suivit ce conseil. Ithuel toucha la barre, et la petite yole glissa par l’ouverture, et sentit l’impulsion des longues lames de fond de cette superbe baie. Les deux marins regardèrent autour d’eux avec quelque inquiétude, en sortant de leur retraite ; mais l’obscurité était trop profonde pour que rien fût visible sur la surface des eaux. Le jet de flamme qui illuminait le sommet du Vésuve ressemblait à l’éclair que produit la chaleur, et aurait distinctement marqué la position de cette montagne célèbre quand même ses sombres contours n’eussent pas été visibles. On apercevait aussi les cimes des montagnes au delà et au-dessus de Castellamare, de même que