Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que c’est tout juste si le bâtiment gouvernait, ne laissant après lui que cette sorte de gonflement régulier qui agite toujours le fond de l’Océan, comme la respiration comprimée de quelque animal gigantesque. Le matin parut plus sombre ; mais la surface du golfe était lisse et tranquille, et rien n’annonçait un motif pressant de vigilance et d’attention.

Il y a des moments de léthargie dans la vie d’un marin. Des jours de travail pénible amènent des nuits ou le besoin du sommeil se fait sentir ; et le repos de toute la nature est une invitation pressante à imiter son exemple. Le son même de l’eau qui s’élève et retombe en frappant contre le côté d’un bâtiment, produit le même effet que la chanson de la nourrice pour endormir un enfant. La réaction qui suit la cessation des travaux de la journée détruit toute disposition à chanter, à plaisanter, à causer ; et l’esprit, comme le corps, ne sent plus que le besoin du repos. Dans de pareilles circonstances, il n’est donc pas étonnant que la bordée qui était de quart à bord du Feu-Follet se soit laissée aller à satisfaire un besoin si naturel. On permet aux matelots de sommeiller en de pareils moments, pourvu que quelques-uns restent sur le qui-vive ; mais le devoir même, quand il n’est pas soutenu par la nécessité, finit par paraître difficile et pénible. Les têtes des vigies tombèrent l’une après l’autre sur leur poitrine, et le jeune lieutenant, qui était assis sur le coffret d’armes, après avoir inutilement combattu, perdit le sentiment de sa situation présente, et rêva de la Provence ; de sa mère et de son premier amour. Le marin qui tenait la barre avait seul les yeux ouverts, et était maître de toutes ses facultés. C’est un poste qui exige une vigilance constante ; et il arrive quelquefois, sur les bâtiments où la rigide discipline d’un service régulier n’est pas observée, que les autres comptent tellement sur lui, qu’ils oublient leur propre devoir, dans la parfaite conviction que l’homme qui est à la roue s’acquittera du sien.

Telle était, en ce moment, la situation des choses à bord du Feu-Follet. Un des meilleurs marins du lougre était à la roue du gouvernail, et tous les autres étaient sûrs qu’il n’y aurait pas la moindre variation, que pas un changement à faire à la voilure ne deviendrait nécessaire, sans qu’Antoine fût prêt à les en avertir. D’ailleurs, chaque jour ressemblait tellement à la veille dans cette saison tranquille de l’année et sur cette belle mer, que tous ceux qui étaient à bord connaissaient les changements réguliers qui avaient lieu à certaines heures de la journée. — Le matin, le vent du sud ; — l’après-midi, le zéphyr ; — le soir, la brise de terre, — arrivaient avec la même exactitude que le lever et le coucher du soleil. Nul danger ne paraissait