Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/384

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lants est de pousser en avant. C’est ce que firent les Anglais, et ils n’avançaient pas d’une brasse sans faire feu, et sans causer ou essuyer quelque perte. Les décharges constantes d’artillerie et l’absence totale de vent rassemblèrent bientôt un nuage de fumée autour des ruines, tandis qu’un autre se formait autour des canots, produit par leurs caronades. Ces deux masses de fumée finirent par se réunir, et il y eut un moment où l’on n’apercevait plus les canots qu’indistinctement. C’était l’instant que l’Américain attendait. Voyant que les hommes qui lui restaient s’occupaient encore de leur feu de mousqueterie, il pointa lui-même ses deux pièces et les amorça avec les cornes qu’il avait toujours gardées. Il n’avait aucune inquiétude en ce moment pour la felouque, car Winchester et les canots qui étaient au centre de la ligne anglaise ne songeaient qu’à avancer vers les ruines, où ils désiraient aborder pour tâcher de prendre d’assaut la batterie de quatre pièces, dont le feu les incommodait fort ; et Mac Bean, outre qu’il était plus éloigné, ne pouvait s’approcher de lui sans doubler un rocher à fleur d’eau dont il ne pouvait encore connaître l’existence. Ithuel, par nature et par habitude, mettait du sang-froid et du calcul dans tout ce qu’il faisait, et l’absence de danger immédiat donnait alors plus d’activité encore à des qualités si importantes dans un combat. Ses deux pièces de canon étaient chargées de mitraille jusqu’à la bouche : il fit signe au meilleur de ses marins de prendre une mèche, et il en prit lui-même une autre. Nous avons dit qu’il avait pointé lui-même les deux caronades pendant le tumulte du combat, et il ne lui restait plus qu’à attendre l’instant de s’en servir.

Cet instant approchait. Le but des Anglais était d’aborder sur l’îlot aux ruines, et d’emporter la batterie d’assaut. Pour y réussir, tous les canots du centre dirigèrent leur marche vers le même point, et la fumée étant poussée par chaque détonation de l’artillerie, l’Américain vit un point noir de la ligne ennemie sortir du milieu de la fumée et diverger à environ vingt-cinq brasses de l’endroit qui avait été choisi pour le débarquement. Ithuel et son compagnon étaient prêts ; ils ajustèrent ensemble, et tirèrent en même temps. Cette décharge inattendue, venant d’un côté d’où pas un seul coup de canon ne s’était encore fait entendre, surprit également amis et ennemis, et un nouveau manteau de fumée se déploya momentanément sur les ruines et sur l’espace qui était en avant.

Les cris qui partirent de dessous ce voile funèbre ne ressemblaient en rien aux acclamations bruyantes que les Anglais avaient poussées jusqu’alors, tantôt pour célébrer un succès, tantôt pour s’encourager :