Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/387

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reste quelques-unes de ces boîte des mitraille, rechargez vos caronades.

— Que pensez-vous de ceci, capitaine Roule ? demanda l’Américain en lui montrant sur la tête d’un des mâts de la felouque une girouette qui commençait à se mettre en mouvement ; voici le vent d’ouest qui nous offre une bonne occasion, profitons-en pour partir.

Raoul tressaillit, et regarda successivement la girouette, le firmament et la surface de la mer qui était déjà légèrement ridée. Pendant cet examen, il aperçut Ghita. Elle était debout, ses yeux suivaient chaque mouvement de son amant, et leurs regards s’étant rencontrés, elle sourit avec douceur, et leva une main vers le ciel d’un air suppliant, comme pour le conjurer de rendre grâce à l’Être puissant qui avait encore daigné le protéger pendant le combat. Il comprit ce qu’elle voulait dire, la salua avec un air de galanterie, et se retourna vers Ithuel pour lui répondre.

— Il est trop tôt, dit-il, il ne fait pas encore assez de vent. Nous sommes imprenables ici ; dans une heure nous partirons tous ensemble.

Ithuel murmura, mais son commandant eut l’air de ne pas s’en apercevoir. Le jugement de Raoul ne lui avait point fait défaut. Les canots s’étaient ralliés, et, sans craindre le danger, ils arrivaient déjà à une portée de mousquet. Il était évident qu’ils allaient renouveler l’attaque. Essayer de s’échapper dans un tel moment, c’eût été renoncer à l’avantage que leur donnaient les ruines, et mettre en danger les trois détachements, sans peut-être pouvoir réussir à en sauver un seul.

Dans le fait, sir Frédéric Dashwood sentait vivement alors quelle honte ce serait pour lui si les vaisseaux arrivaient, et lui ravissaient la gloire de capturer le lougre. Le caractère ordinairement apathique de ce jeune homme prit tout à coup du ressort, et comme tous ceux qui sont difficiles à émouvoir, du moment que son énergie s’éveilla, il devint un autre homme. Ayant réuni tous les canots, il fit placer les blessés dans l’un d’eux, donna ordre qu’on les reconduisît à leurs bâtiments respectifs, et prit des arrangements pour faire une seconde attaque avec les canots qui lui restaient. Il fut heureux que Cuff eût fait partir une si forte expédition, car, malgré la perte que les Anglais avaient faite, ils étaient encore deux fois plus nombreux que les Français.

Pour cette fois, sir Frédéric ne dédaigna pas les conseils, et il se rendit à l’avis unanime de Winchester, Mac Bean, Griffin, Clinch et Strand, qui était de séparer les canots et de diriger l’attaque sur dif-