Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/41

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souvent notre lougre par une couche de couleur différente, et nous pouvons au besoin changer quelque chose à son gréement. Vous pouvez pourtant être sûre que nous cachons notre Feu-Follet, et que nous faisons voile sous un autre nom. À présent qu’il est censé au service de l’Angleterre, il s’appelle le Ving and Ving.

— C’est ainsi que j’ai cru l’entendre prononcer quand on l’a hélé ce soir ; mais le son de ces mots a frappé mon oreille différemment dans la bouche de celui qui parlait alors.

— Vous vous êtes trompée. C’est Ithuel qui a répondu pour nous, et vous pouvez être bien sûre qu’il sait parler sa langue. Il a dit Ving and Ving, et il a prononcé ces mots comme je le fais.

Ving y Ving, répéta Ghita, avec son joli accent italien, et commettant les mêmes fautes de prononciation que le vice-gouverneur et le podestat. — C’est un singulier nom, et j’aime mieux celui de Feu-Follet.

— Je voudrais, chère Ghita, vous voir préférer celui d’Yvard à tout autre, répliqua le jeune homme, d’un ton mêlé de tendresse et de reproche. — Vous m’accusez de manquer de respect pour les prêtres ; mais pas un fils ne pourrait s’agenouiller devant son père aussi volontiers et aussi dévotement pour lui demander sa bénédiction, que je le ferais avec vous devant quelque moine que ce fût en Italie pour recevoir cette bénédiction nuptiale que je sollicite depuis si longtemps, sans avoir pu encore obtenir votre consentement.

— Je crois que si je le donnais il faudrait encore changer le nom de votre lougre, et l’appeler la Folie Ghita, répondit la jeune fille en riant, quoiqu’il lui fallût un grand effort pour cacher l’angoisse qu’elle éprouvait. Mais ne parlons plus de ce sujet, Raoul ; on peut nous observer, nous épier, il faut que nous nous séparions.

Une courte conversation, intéressante pour tous deux, et qui ne serait peut-être pas tout à fait sans intérêt pour le lecteur, si nous voulions lui en rendre un compte prématuré, eut lieu alors entre Raoul et Ghita ; après quoi la jeune fille se retira, et laissa son amant sur les hauteurs, en lui disant qu’elle connaissait assez bien la ville pour n’avoir aucune crainte en la traversant seule à quelque heure que ce fût. Dans le fait, il faut dire à l’honneur de l’administration d’Andréa Barrofaldi, qu’il avait pris de si bonnes mesures, que le riche et le pauvre pouvaient parcourir toute l’île la nuit comme le jour sans courir le moindre danger. Jamais un si grand ennemi de la paix et de la tranquillité publique ne s’y était montré que dans le moment dont nous parlons.

Et pourtant il ne régnait pas alors à Porto-Ferrajo tout à fait au-