Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/49

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fermier, saute-ruisseau chez un imprimeur, maître d’école en sous-ordre, conducteur de diligence et colporteur. Enfin, il avait rempli tous les emplois de la domesticité rurale, ayant même aidé à laver et nettoyer les maisons, et ayant passé tout un hiver à faire des balais. Ithuel avait atteint sa trentième année avant de songer à aller sur mer.

Le hasard lui procura enfin une place à bord d’un petit bâtiment côtier sur lequel il fit son premier voyage en qualité de mate, en français lieutenant. Heureusement le capitaine du bâtiment ne s’aperçut pas de ce qui lui manquait pour remplir cette place ; car il avait un air d’assurance et de confiance en lui-même qui retarda cette découverte pendant quelques jours, jusqu’après leur sortie du port. Alors le capitaine fut jeté à la mer par une secousse du gui, et son lieutenant dut naturellement le remplacer. Bien des gens, dans des circonstances semblables, seraient rentrés dans le port d’où ils sortaient ; mais Bolt n’avait jamais mis la main à la charrue pour regarder ensuite en arrière ; d’ailleurs, il ne lui était pas plus difficile d’aller en avant que de retourner sur ses pas. Tout ce qu’il entreprenait, il en venait ordinairement à bout de manière ou d’autre, quoiqu’il eût souvent mieux valu qu’il ne l’eût pas entrepris. Heureusement, c’était en été ; le vent était favorable ; l’équipage savait ce qu’il avait à faire, et il n’était pas difficile de gouverner du bon côté, en vue des côtes et par un beau temps. Le petit bâtiment rentra donc sans accident dans le port, et les matelots jurèrent qu’ils n’avaient jamais servi sous un officier ayant plus de bonté et d’adresse que leur nouveau mate. Et ils pouvaient bien parler ainsi, car Ithuel avait eu grand soin de ne jamais donner un ordre sans qu’un homme de son équipage le lui eût suggéré, et alors il le répétait mot pour mot, comme s’il eût pris naissance dans sa propre perspicacité. Quant à la réputation d’adresse qu’il avait si facilement obtenue, il la méritait certainement, dans le sens qu’on donne à ce mot dans la partie du monde où il était né, car il était fort adroit à cacher son ignorance. Son succès en cette occasion lui procura des amis, et les armateurs du bâtiment côtier lui en confièrent le commandement. Il laissa son lieutenant en remplir tous les devoirs, et sans avoir l’air de prendre des leçons de lui ; il profita si bien de ce qu’il le voyait faire, qu’au bout de six mois il était bien meilleur marin que la plupart des Européens ne le seraient devenus en trois ans. Mais, de même que la cruche qui va trop souvent à l’eau finit par se briser, Ithuel eut enfin le malheur de faire naufrage par suite de son ignorance grossière en navigation. Cet accident le détermina à essayer un voyage de long cours dans une qualité plus subordonnée ; il fut saisi en vertu des lois sur la