Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore pour faire distinguer les maisons situées de l’autre côté de la baie, ils avaient aperçu de ce côté un objet qu’ils avaient pris pour ce rocher ; mais alors la lumière était assez forte pour faire voir que c’était quelque chose de tout différent. En un mot, ce que Raoul et Ithuel avaient pris pour un îlot n’était ni plus ni moins qu’un navire.

Ce bâtiment avait le cap tourné vers le nord, et la route qu’il faisait à l’aide d’un léger vent du sud ne pouvait excéder un nœud par heure. Il ne portait aucune autre voile que ses trois huniers et son foc, quoique ses basses voiles fussent sur leurs cargues. Sa coque noire commençait à se dessiner en détail, et le long de la ligne jaune qui rompait l’uniformité de ses flancs, on pouvait compter les sombres intervalles de treize sabords, dans chacun desquels se voyait la bouche menaçante d’un canon. Quoique les hamacs ne fussent pas encore arrimés dans les bastingages, dont les toiles ainsi vides présentaient cet aspect négligé si commun pendant la nuit à bord d’un bâtiment de guerre, il était évident que ce bâtiment avait un pont supérieur avec des canons ; — en d’autres termes, que c’était une frégate. Comme elle avait vu la ville plusieurs minutes avant qu’on l’eût aperçue à bord du Feu-Follet, elle avait hissé son pavillon à l’extrémité de sa corne, quoiqu’il n’y eût pas assez de vent pour le faire flotter et faire connaître à quelle nation elle appartenait.

— Peste ! s’écria Yvard dès qu’il eut regardé une minute ce bâtiment, — nous serions dans un joli cul-de-sac, si ce bâtiment était anglais ! — Que dites-vous de ce pavillon, Itouel ? Vos yeux sont les meilleurs que nous ayons à bord du lougre.

— Je ne connais pas les yeux qui pourraient le distinguer à cette distance, et cela avant que le soleil soit levé ; mais en prenant une longue-vue, nous le saurons bientôt, car cinq minutes nous feront voir le grand luminaire, comme disait notre ministre.

Ithuel descendit de la muraille sur laquelle il était monté, et alla chercher deux longues-vues ; il en remit une à son compagnon, et garda l’autre. Une minute après, ils dirigèrent leurs instruments vers le bâtiment étranger, qu’ils examinèrent quelque temps en profond silence.

— Parbleu ! s’écria enfin Raoul, c’est le pavillon tricolore, ou mes yeux sont infidèles à leur patrie. — Voyons, Itouel ! — Quel bâtiment de 42 ou 44 la république a-t-elle sur cette côte ?

— Ce n’est pas cela, monsieur Yvard, répondit Ithuel d’un ton si changé et avec une emphase si marquée, que l’attention de Raoul passa sur-le-champ de la frégate à la physionomie de son compagnon. — Non, capitaine, ce n’est pas cela. Un oiseau n’oublie pas aisément