Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/83

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été alors sur le gaillard d’arrière de la frégate, il aurait vu, aux bénédictions qui sortaient de la bouche du capitaine Cuff, que sa ruse avait du moins réussi à faire croire à cet officier que sa réponse inintelligible devait s’attribuer à l’ignorance, et non à un dessein prémédité. Cependant la frégate ne parut pas disposée à changer de route ; car, soit que le capitaine eût résolu de mouiller dans cette baie, soit qu’il voulût voir le lougre de plus près, il continua à porter vers la rive orientale de la baie, à raison d’environ six milles par heure.

Raoul Yvard jugea alors qu’il était temps qu’il allât veiller lui-même à la sûreté du Feu-Follet. Avant de quitter son bord, il avait laissé des instructions sur ce qu’on devrait faire si la frégate s’approchait trop ; mais l’affaire semblait en ce moment si sérieuse, qu’il se hâta de descendre des hauteurs. En marchant à grands pas vers le port, il rencontra, ou pour mieux dire il rejoignit Vito Viti qui s’y rendait aussi pour donner à certains bateliers quelques ordres sur la manière dont les lois sur la quarantaine devaient être observées en communiquant avec la frégate anglaise.

— La perspective de vous trouver bientôt avec votre honorable compatriote sir Brown doit vous être infiniment agréable, dit le podestat, qui ne montait ni ne descendait jamais cette rue escarpée sans être hors d’haleine, car il paraît sérieusement décidé à mouiller dans notre baie, signor Smit.

— Pour vous dire la vérité, signor podestat, je voudrais être à demi aussi persuadé que je l’étais il y a une heure, que ce bâtiment est la Proserpine, et que son commandant est sir Brown. Mais j’aperçois des symptômes qui me portent à croire que c’est un croiseur de la république française, après tout, et il faut que je veille sur mon petit Ving-and-Ving.

— Que le diable emporte tous les républicains ! c’est l’humble prière que j’adresse au ciel, signor capitano. Mais j’ai peine à croire qu’une frégate si belle et si bien équipée puisse appartenir à de tels misérables.

— Ah ! si c’était là tout, Signor ; répondit Raoul en riant, je crains que nous n’eussions à céder la palme aux Français, car les plus beaux bâtiments qui soient au service de Sa Majesté britannique sont des prises faites sur les Français, et si cette frégate est la Proserpine, elle n’a pas elle-même une autre origine. Mais je crois que le gouverneur a eu tort de quitter les batteries, car ce bâtiment ne répond pas à nos signaux comme il le devrait. Il n’a rien compris à ceux que nous venons de lui faire.