Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Raoul était plus près de la vérité qu’il ne le croyait peut-être, car bien certainement le registre des signaux du capitaine Cuff n’avait pu lui expliquer ceux d’Ithuel. Mais son ton de confiance fit impression sur Vito Viti, qui se laissa duper par son air sérieux, aussi bien que par une circonstance qui, bien considérée, parlait autant contre son compagnon qu’en sa faveur.

— Que devons-nous faire, Signor ? demanda le podestat, s’arrêtant tout à coup.

— Il faut faire ce qui nous est possible dans ces circonstances. Mon devoir est de veiller à la sûreté du Ving-and-Ving ; le vôtre, d’assurer celle de la ville. Si ce bâtiment entre véritablement dans la baie, et qu’il présente le travers à cette côte à pic, il ne restera pas sur cette hauteur une seule maison dont les croisées ne soient brisées par le feu de ses batteries. Vous me permettrez donc de faire entrer mon lougre dans le port intérieur, ou les bâtiments nous mettront à l’abri de ses boulets ; et alors il suffira peut-être que j’envoie mes hommes aider au service de la batterie la plus voisine. Je m’attends à voir avant peu régner la confusion et couler le sang.

Tout cela fut dit avec une telle apparence de sincérité, que le podestat en fut complètement la dupe. Appelant son voisin, il le chargea d’un message pour le vice-gouverneur, et doubla le pas pour arriver plus vite sur le port, car il lui était plus facile de descendre que de monter. Raoul ne quitta pas son côté, et ils arrivèrent ensemble sur le bord de l’eau.

Le podestat était porté à énoncer toutes les opinions qui dominaient pour le moment dans son esprit, car il était un de ces hommes qui sentent autant qu’ils pensent. En cette occasion, il n’épargna pas la frégate, et ayant mordu à l’hameçon que son compagnon lui avait si adroitement jeté, il exprima sa méfiance à haute voix. Tous les signaux de la Proserpine ne furent plus à ses yeux qu’une ruse des républicains, et plus il avait de ressentiment contre l’imposture supposée de ce bâtiment, plus il était disposé à croire aveuglément à la droiture et à la franchise du capitaine du lougre. Il s’était opéré en lui une révolution complète, et, comme dans tous les cas de conversions soudaines et tardives, il était disposé à compenser sa lenteur à croire par la ferveur de son zèle. Par suite de cette disposition, de son caractère et de sa loquacité, le tout aidé de quelques suggestions faites à propos par Raoul, au bout de cinq minutes, l’opinion générale était qu’on ne pouvait trop se métier de la frégate, et le lougre s’élevait proportionnellement dans la faveur publique. Cette intervention de Vito Viti vint extrêmement à propos pour