Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/87

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main ; mais comme le vent était très-léger, sa voix forte lui suffit pour se faire entendre.

— Signori, s’écria-t-il, je vais attirer ce chenapan de républicain loin de votre port pour me donner la chasse. Ce sera le meilleur moyen de vous rendre service.

Ces paroles furent entendues et comprises. Les uns y applaudirent, les autres dirent que cette affaire était mystérieuse, et conservèrent leur méfiance. On n’avait pas le temps d’en venir à des voies de fait, quand même on y aurait songé ; car le lougre longeait les rochers de trop près pour qu’il pût craindre les boulets, et l’on n’avait pas encore fait dans les batteries de nouveaux préparatifs d’hostilité. D’ailleurs, on doutait encore lequel des deux bâtiments devait être considéré comme ennemi, et l’un et l’autre marchaient trop rapidement pour laisser aux autorités de Porto-Ferrajo le temps de se consulter et de prendre un parti. La marche du Feu-Follet avait tant d’aisance, qu’elle semblait le résultat de l’instinct. Le vent enflait ses voiles légères, quoique la brise ne fût pas forte, et tandis qu’il montait ou plongeait, en suivant le mouvement des longues lames de fond, son avant, en forme de coin, faisait bouillonner l’eau, comme celle d’un torrent rapide qui rencontre un obstacle dans son cours. Ce n’était que lorsqu’il plongeait en fendant une lame qu’on pouvait apercevoir quelque écume sur l’avant. Une longue ligne de bulles d’eau qu’il laissait après lui marquait pourtant son sillage ; et les groupes de spectateurs devant lesquels il passait y avaient à peine jeté les yeux, qu’il en était déjà bien loin, comme un marsouin qui s’ébat dans une rade.

Dix minutes après avoir passé la maison du vice-gouverneur et le promontoire, le lougre eut en vue une autre baie plus large et presque aussi profonde que celle de Porto-Ferrajo. Là, il prit le vent sans qu’aucun rocher y mît obstacle, et sa vitesse augmenta considérablement. Jusque-là, la grande proximité de la côte avait produit pour lui une sorte de calme, quoique l’air tournant autour du promontoire lui procurât un vent presque favorable ; mais à présent le vent venait du travers, et avec beaucoup plus de force. Il amura ses voiles à joindre, les borda bien plates, loffa et fut bientôt hors de vue, gouvernant d’un quart au vent de la pointe qui formait l’extrémité orientale de la dernière baie dont nous venons de parler.

Pendant tout ce temps, la Proserpine n’était pas restée oisive. Dès qu’elle s’aperçut que le lougre cherchait à s’échapper, tout son gréement fut couvert d’hommes. Toutes les voiles furent établies rapidement, un nuage blanc succédant à l’autre, jusqu’à ce qu’elle ne fût