Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/94

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et aller voir le lougre entrer dans le havre. Le podestat s’y joignit dès que le vice-gouverneur eut fini de parler, et il fit grande hâte afin d’arriver à temps pour recevoir sir Smit dès qu’il débarquerait. Andréa Barrofaldi jugea plus convenable de rester où il était, et d’y attendre la visite de l’officier anglais prétendu. Ghita fut du petit nombre de ceux qui restèrent sur les hauteurs. Son cœur battait de crainte en songeant aux dangers auxquels son amant s’exposait pour elle, et sa tendresse pour lui croissait encore par suite de la conviction qu’elle éprouvait que, si elle n’avait pas été à Porto-Ferrajo, Raoul Yvard n’aurait jamais couru un pareil risque.

Ghita delle Torri, ou Ghita des Tours, comme l’appelaient ordinairement ceux qui la connaissaient, à cause d’une circonstance de son histoire dont le public sera informé ci-après, ou enfin Ghita Caraccioli, ce qui était son véritable nom, était restée orpheline dès son enfance. Elle avait pris dans cette position même une force de caractère et une confiance en elle-même qui, sans cela, auraient pu manquer à une si jeune fille dont le caractère naturel était plein de douceur. Une tante lui avait donné les leçons du decorum qui convient femme, et un oncle qui avait quitté le monde par suite de sentiments religieux profondément prononcés, l’avait armée des principes de religion les plus solides, et l’avait rendue strictement consciencieuse. Son amour pour la vérité la rendait mécontente du stratagème que Raoul Yvard employait en ce moment, tandis que la faiblesse de son sexe la portait à excuser la faute en faveur du motif qui la lui faisait commettre. Elle frémissait souvent en songeant aux ruses mensongères auxquelles Raoul avait recours si souvent, et qui pouvaient se terminer par des actes de violence et par l’effusion du sang humain ; et elle tremblait ensuite d’une plus douce émotion en se rappelant que c’était pour elle qu’il courait tous ces risques. Sa raison l’avait avertie depuis longtemps que Raoul Yvard et Ghita Caraccioli devaient être étrangers l’un pour l’autre ; mais son cœur lui parlait tout différemment. L’occasion présente était bien faite pour maintenir dans toute leur vivacité des sentiments qui se combattaient ainsi ; et, comme nous l’avons déjà dit, quand la plupart des spectateurs descendirent vers le port pour être présents à l’arrivée du Feu-Follet, elle resta sur la hauteur, concentrée dans ses pensées, et les yeux souvent baignés de larmes.

Mais Raoul n’avait nulle envie de placer son Feu-Follet dans un endroit où la main de l’homme pouvait si facilement l’éteindre. Au lieu d’aller, comme on s’y attendait, chercher derrière les bâtiments du port un abri contre tout croiseur républicain qui pourrait