Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/105

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brassé son père. Elle venait de le voir descendre de cheval à la porte de son cabinet. Sans doute il avait appris le retour des enfants prodigues, et il ne fallait pas tarder davantage à aller implorer son pardon.

M. Hardinge nous accueillit sans montrer de surprise, et encore moins de ressentiment. C’était l’époque où il avait calculé que nous devions revenir, et aucune passion mauvaise ne pouvait trouver accès dans son cœur. Nous reçûmes solennellement sa bénédiction ; et, je ne rougis pas de le dire, dans un siècle où il est de bon ton de faire parade de son impiété, et où le respect humain cherche à tourner en ridicule celui qui s’humilie pour demander la bénédiction du Tout-Puissant par l’entremise des ministres de ses autels, — je me mis à genoux pour la recevoir, — oui, je me mis à genoux et je fondis en larmes ; à genoux par humilité, en larmes par contrition.

Quand nous fûmes tous un peu plus calmes, et qu’un repas substantiel nous eût été servi, M. Hardinge demanda à son tour le récit de tout ce qui s’était passé. Ce fut à moi qu’il s’adressa ; et je fus forcé de remplir le rôle d’historien, un peu contre mon gré ; mais il n’y avait pas moyen de s’en défendre, et je m’en acquittai avec simplicité, et certainement de manière à produire des impressions bien différentes de celles qu’avait causées le récit de Rupert. Je crus une ou deux fois remarquer une expression de chagrin sur la figure de Lucie, et de surprise sur celle de Grace. Je suis certain que je ne cherchai pas à me faire valoir, et que je ne fis autre chose que de rendre justice à Neb. Mon histoire ne fut pas longue ; je sentais que, malgré moi, je contredisais Rupert. Quant à lui, il était tout à fait à son aise, et ne paraissait même pas remarquer ces contradictions. Il y a des gens qui ne reconnaissent pas la vérité, même quand elle leur crève les yeux.

M. Hardinge exprima son bonheur de nous revoir, et bientôt après il se hasarda à demander si nous en avions assez de ce que nous avions vu du monde. C’était une question à bout portant, et je crus devoir y répondre franchement. Loin d’en avoir assez, je lui dis que mon ardent désir était d’être admis à bord de l’un des bâtiments porteurs de lettres de marque, qu’on équipait alors en si grand nombre aux États-Unis, et de faire un voyage en Europe. Rupert tint un langage différent ; il avoua qu’il s’était trompé sur sa vocation, et qu’il était prêt à entrer dans une étude d’homme de loi. Je fus renversé d’entendre mon ami convenir aussi tranquillement de son incapacité comme marin ; car c’était la première fois qu’il s’exprimait ainsi devant moi. J’avais remarqué chez lui un certain manque d’énergie dans des occa-