Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’embarqua sur le Wallingford. Quelle différence entre cette traversée et celle qui l’avait précédée ! Alors j’avais le sentiment de ma faute, et mon cœur restait sur le rivage avec les deux jeunes filles ; aujourd’hui tous ceux que j’aimais étaient avec moi. Est-il besoin de dire que Grace et Lucie étaient enchantées de tout ce qu’elles voyaient ? Les Highlands surtout les jetèrent dans l’extase, quoique depuis j’aie vu assez le monde pour reconnaître, avec presque tous les touristes expérimentés, que c’est relativement la partie la moins remarquable de ce beau fleuve ; car d’autres portions de notre globe offrent un caractère de grandeur plus frappant, tandis que nulle part on ne peut trouver dans un aussi petit espace un paysage aussi charmant que celui que présentent les autres parties de l’Hudson.

Nous arrivâmes à New-York sans accident, et j’eus le suprême bonheur de montrer à mes compagnes la Prison d’État, le Bear-Market (marché aux ours), et les cloches de Saint-Paul et de la Trinité, — de la vieille Trinité, connue c’était la mode d’appeler une église qui n’était bâtie que depuis quelques années, et que, dans ma jeunesse, j’étais habitué à regarder comme aussi magnifique qu’elle était vénérable. Cet édifice a déjà disparu pour faire place à un autre auquel on prodigue les épithètes de splendide, de vaste, que sais-je ? et qui bientôt sera remplacé à son tour, jusqu’à ce que notre goût en fait d’architecture d’église soit à peu près formé.

Wall-Street, en 1799, était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. À la place où tant de temples grecs sont consacrés à Plutus, était une rangée de maisons modestes, provinciales, si l’on veut, mais beaucoup moins pourtant, à mon avis, que ces habitations équivoques de briques et de marbre, qui affichent beaucoup plus de prétentions, sans être plus respectables. C’était là que demeurait mistress Bradfort. Les changeurs de monnaie étaient alors inconnus, ou du moins ils n’étaient pas assez nombreux pour former une colonie et une sorte de coalition entre eux. Les banques elles-mêmes ne croyaient pas nécessaire d’être à une portée de fusil l’une de l’autre — c’est tout au plus s’il y en avait deux — pour se défendre mutuellement. Nous avons vu adopter toutes sortes d’expédients, dans cette rue de bénédiction, pour défendre les bourses, depuis le temple qui primitivement devait être assez petit pour n’admettre que les dollars et ceux qui devaient les garder, jusqu’à l’édifice qui devait contenir assez de fripons pour qu’on pût dormir tranquille, d’après ce principe familier qu’il n’y a rien de tel que des voleurs pour prendre les voleurs. Tout cela n’y a rien fait, et si l’on a obtenu quelques résultats, c’est lorsqu’on a eu recours tout bonnement au procédé clas-