Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/117

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enfant, et je mis mon petit cadeau dans sa main sans plus de résistance. Mais je fus fâché de voir qu’elle connût l’arrangement que j’avais pris au sujet des vingt dollars par mois. Je découvris plus tard que c’était par Neb que le secret avait transpiré, qu’il l’avait appris d’un des commis de la maison de commerce, et qu’il l’avait répété à la négresse au service de mistress Bradfort. C’est le canal ordinaire par lequel les nouvelles se propagent, mais elles n’ont pas toujours le même degré de vérité.

Lucie ne cacha pas le plaisir que lui causait le médaillon. Il contenait de ses cheveux, de ceux de Grace et de Rupert, et des miens, entrelacés ensemble autour de nos initiales. Le tout était très-joliment monté, et je n’avais point d’autre intention que de lui être agréable. Je ne songeais en aucune manière à lui faire ma cour, et j’agissais si franchement que j’avais même consulté ma sœur sur cette petite surprise. Je vis Lucie sourire, et je ne pus m’empêcher de remarquer qu’une ou deux fois la chère et naïve enfant, à son insu sans doute, pressa le médaillon contre son cœur ; mais je n’y attachai pas dans le moment une grande importance.

La conversation changea bientôt, et nous nous mîmes à parler d’autres choses. Grace, qui s’était éloignée sans que je susse pourquoi, mais sans doute, à ce que j’ai pensé depuis, pour me laisser l’occasion de glisser mon cadeau, revint alors prendre mon bras, en disant que c’était la dernière soirée que nous devions passer ensemble, et qu’elle n’entendait pas qu’on m’accaparât ainsi. J’affirme solennellement que ce fut tout ce qui se passa jamais entre Lucie Hardinge et moi qui pût avoir la moindre ressemblance avec une scène d’amour.

Je passerai rapidement sur les adieux. M. Hardinge m’appela dans son cabinet quand nous fûmes de retour. Il me retraça solennellement les devoirs de tout genre que j’avais à remplir, puis il m’embrassa, me donna sa bénédiction, et me promit de ne pas m’oublier dans ses prières. Je crois vraiment qu’il se mit à genoux dès que j’eus le dos tourné. Lucie m’attendait dans le corridor. Elle était plus pâle qu’à l’ordinaire, mais elle semblait avoir rassemblé tout son courage. Elle me mit dans la main un joli petit volume de la Bible, et elle me dit en surmontant autant que possible son émotion : — Tenez, Miles, voilà mon souvenir à moi. Je ne vous demande pas de penser à moi en le lisant ; mais pensez à Dieu !

Elle m’embrassa précipitamment, courut à sa chambre et s’y renferma. Grace était en bas, et elle appuya sa tête sur mon épaule en sanglotant comme un enfant. J’eus peine à m’arracher de ses bras.