Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/126

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— Et que comptez-vous faire, monsieur Marbre ? Nous avons vu que c’était un rude gaillard, par un temps clair ; que pouvons-nous faire par le brouillard ?

— Laissez faire le vieux commandant ; il a sur le cœur ce qui s’est passé ; il voudra en avoir la conscience nette, et je crois qu’il sera pour un nouvel escrimage. — Marbre était du Kennebunck, son éducation n’avait pas été poussée loin, et il n’était pas très-scrupuleux sur les expressions qu’il employait. — Il y aura une bonne récolte à faire à bord de ce bâtiment, maître Miles, pour ceux qui y entreront les premiers.

Il me dit alors de descendre sous le pont et d’appeler tout le monde en haut, en faisant aussi peu de bruit que possible. À mon retour, Marbre gesticulait de nouveau ; mais, cette fois, c’était en faveur du capitaine. En ma qualité d’officier, je crus pouvoir me mêler à la conversation. Marbre racontait comment il avait vu un instant l’ennemi, la voilure qu’il portait, la route qu’il suivait, l’air de sécurité qu’il avait. Tout cela était donné comme positif, quoiqu’il n’eût vu le bâtiment que pendant vingt secondes, et il pouvait ne pas se tromper, car le coup d’œil du marin est rapide, et il a des moyens à lui pour voir beaucoup en peu de temps.

Marbre proposa alors de tomber sur le bâtiment français, de lui lâcher une bordée, et de l’aborder au milieu de la fumée ; notre succès serait infaillible, si nous pouvions arriver bord à bord sans être aperçus, ou bien faire jouer nos batteries à l’improviste. Il pensait que l’autre affaire devait avoir refroidi son ardeur, et que, cette fois, en un tour de main, nous l’obligerions à baisser pavillon.

Cette perspective plaisait au vieux commandant ; je n’eus pas de peine à m’en apercevoir, et j’avoue qu’elle était aussi de mon goût. Nous étions tous plus ou moins piqués du résultat du premier engagement, et voilà que la fortune semblait nous offrir l’occasion de prendre notre revanche.

— Il ne saurait y avoir de mal à se tenir prêt, monsieur Marbre, dit le capitaine ; et, quand nous serons prêts, nous verrons mieux à prendre un parti.

À peine ces mots avaient-ils été prononcés, que nous nous mîmes en devoir de débarrasser le pont. Les canons furent mis en batterie et chargés à mitraille. Comme nos hommes savaient ce dont il s’agissait, ils travaillaient comme des forcenés, et je crois qu’il ne fallut pas dix minutes pour que le bâtiment fût prêt à commencer le combat au premier signal.

Pendant tout ce temps, le capitaine refusa de gouverner au large.