Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/151

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l’instrument employé par la Providence pour leur sauver la vie, ce dont on ne pouvait douter, ils me faisaient connaître le monde, pour employer l’expression reçue, mieux que je ne l’avais connu dans toute ma vie précédente. Je ne prétends pas avoir vu la société de Londres ; elle est dans une sphère où n’avait pu atteindre le major lui-même qui était né dans le commerce, à une époque où les commerçants étaient bien moins considérés en Angleterre qu’ils ne le sont aujourd’hui, et qui avait été obligé de s’attacher à un patron pour s’assurer une position dans l’avenir ; mais il avait les idées, les sentiments et les manières d’un gentleman, et il n’oubliait jamais que je lui avais sauvé la vie dans le plus grand danger. Quant à Émilie Merton, elle avait, dans sa conversation avec moi, un ton de franche amitié, et j’étais heureux d’entendre de jolies pensées élégamment exprimées par sa jolie bouche. Je pouvais m’apercevoir qu’elle me trouvait un peu rustique et un peu provincial ; mais je n’avais pas fait le voyage de Canton pour me laisser intimider par une enfant, quelque belle et quelque aimable qu’elle fût. En somme, et je puis le dire aujourd’hui, à mon âge, sans être accusé de vanité, je pense avoir laissé à ces braves gens une opinion de moi favorable. Peut-être Clawbonny eut-il quelque influence en cette affaire ; ce qu’il y a de certain, c’est que, quand je fis ma dernière visite, Émilie elle-même parut triste, et sa mère m’assura que tout le monde me regrettait bien sincèrement. Le major me fit promettre d’aller le revoir, soit à la Jamaïque, soit à Bombay, où il espérait se rendre dans quelques mois avec sa femme et sa fille ; je savais qu’il avait réglé en partie ses affaires, qu’il espérait que sa position deviendrait encore meilleure, et que tout s’arrangerait pour le mieux.

La Crisis mit à la voile au jour désigné, et au bout d’une semaine elle quitta les dunes pour entrer en mer, favorisée par le vent du sud. Nos Philadelphiens formaient un bel équipage bien déterminé, et nous eûmes le bonheur, en débouchant le canal, de battre un sloop de guerre anglais dans un défi de vitesse. Mais pour rabattre un peu notre orgueil, un bâtiment à deux ponts qui se rendait dans la Méditerranée nous fit éprouver le même sort trois jours plus tard. Ce qui rendait l’affaire plus mortifiante encore, c’est que tout le monde venait d’applaudir à l’observation faite par Marbre qu’un sloop de guerre étant le plus rapide de tous les voiliers, et le meilleur des sloops ayant été battu par nous, nous pouvions défier toute la marine anglaise. J’essayai de le consoler en lui rappelant que ce n’était pas toujours la vitesse qui obtenait le prix de la course. Il marmotta je ne sais quelle réponse entre ses dents, maudissant tous