Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/167

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fut descendu à fond de cale. Sept fois des gardes-côtes nous firent la chasse, nous eûmes le bonheur de leur échapper, bien qu’ayant essuyé à trois reprises leur feu roulant. Je remarquai que le capitaine désirait ménager autant que possible ces représentants de la loi ; car il nous ordonnait toujours de viser aux agrès. J’ai pensé depuis que tette modération tenait à un principe assez commun de demi-vertu, qui lui permettait de faire la contrebande, mais qui l’engageait à s’abstenir de sacrifier la vie des hommes. Il n’est rien de plus dangereux que ces moitiés d’honnêtes gens.

Après avoir enfin quitté le territoire espagnol, nous gouvernâmes au nord, dans le but louable d’échanger contre des pelleteries de valeur une certaine quantité de verroteries, de couteaux grossiers, de poêles, et autres ustensiles domestiques. En un mot, nous nous dirigeâmes vers la contrée qui pourrait bien un jour s’affranchir de l’autorité maternelle, à moins qu’il ne lui arrive avant peu de subir le sort du Texas, ou, ce qui revient à peu près au même, du Maine. À cette époque, aucune partie de la côte nord-ouest n’était encore occupée par les blancs, et je n’éprouvai aucun scrupule à trafiquer avec les naturels du pays qui venaient avec leurs peaux, dès que nous avions jeté l’ancre, les considérant comme légitimes propriétaires du pays et de tous ses produits. Nous employâmes plusieurs mois à ce trafic, retirant partout quelque profit pour nous dédommager de nos peines.

Nous allâmes au nord jusqu’au cinquante-troisième degré, et c’est ce que j’ai su de plus positif sur notre dernière situation. Je pensais alors que nous avions jeté l’ancre dans quelque baie du continent ; mais, depuis, j’ai été disposé à croire que c’était près d’une des îles qui abondent sur ces bords accidentés. Nous y trouvâmes un excellent mouillage, où nous fûmes conduits par un pilote du pays, qui nous aborda à une distance de plusieurs lieues en mer, et qui savait assez d’anglais pour expliquer au capitaine qu’il nous conduisait dans un lieu où nous aurions des peaux de loutre à foison, et il ne nous trompa point, bien que jamais guide de plus mauvaise mine n’eût pu être soupçonné de vouloir tromper des chrétiens. Il nous conduisit dans une petite baie où nous trouvâmes beaucoup d’eau, un bon ancrage et un bassin uni comme la surface d’un lac. Toutefois, le vent du nord-ouest eût pu y être très-sensible, si l’effet ne s’en était trouvé amorti par une petite île située à l’entrée, qui laissait de part et d’autre une issue suffisante pour communiquer aisément avec la mer. Le bassin lui-même était un peu étroit, il est vrai, mais il suffisait pour un seul navire. Il pouvait avoir trois cents