Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/170

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capitaine Williams étant bien décidé à les châtier vigoureusement s’il les surprenait à faire quelqu’un de leurs tours habituels de prestidigitation.

Marbre et moi, nous remarquâmes que le canot dans lequel partirent les messagers n’allait pas à la mer, mais entrait dans une petite crique qui communiquait avec l’ouverture de la baie. Comme le service ne nous retenait pas à bord, nous demandâmes au capitaine la permission d’aller explorer cet endroit, et en même temps de faire une reconnaissance plus approfondie de la rade. Notre demande nous ayant été accordée, nous descendîmes dans le canot avec quatre hommes, tous bien armés, et nous nous disposâmes pour notre petite expédition. L’Échalas, vieil Indien, sec, à tête grise, mais ayant les muscles aussi forts que d’épaisses lanières, était seul sur le pont, pendant que cette opération s’effectuait. Il examinait attentivement toutes nos manœuvres, et, quand il nous vit descendre dans l’embarcation, il se laissa glisser sur le flanc du canot du plus grand sang-froid, et prit place à l’arrière avec autant de calme et de dignité que s’il eût été capitaine. Marbre n’entendait pas la plaisanterie sur la discipline en pareille occasion ; aussi la familiarité et l’impudence du procédé ne lui plurent-elles qu’à demi.

— Qu’en pensez-vous, Miles ? me demanda-t-il avec un peu d’humeur. Prendrons-nous avec nous cet orang-outang desséché, ou faut-il lui faire prendre un bain pour le blanchir un peu ?

— Laissez-le, je vous en conjure, monsieur Marbre. Je suis sûr qu’il veut nous être utile, mais que, seulement, il s’y prend mal pour nous le témoigner.

— Utile ! il n’a pas plus de valeur que la carcasse d’une baleine dépouillée de toute son huile. Je vous assure, Miles, que nous n’aurions pas de grands efforts à faire pour dépouiller ce lapin maigre.

Marbre fut si content de ce trait d’esprit qu’il redevint de bonne humeur, et permit au drôle de rester avec nous. Je me rappelle, comme si c’était hier, les pensées qui traversèrent mon esprit dans ce moment, tandis que le canot se dirigeait vers la crique. Je regardais la créature demi-humaine qui était assise en face de moi, et j’admirais les décrets de la divine Providence, qui permettait qu’un être qui avait reçu de Dieu une portion de son ineffable nature, tombât dans une situation aussi dégradante. J’avais vu des animaux en cage qui m’avaient paru tout aussi intelligents, j’avais vu des singes, des babouins, ces nombreuses familles qui semblent parodier la nature humaine, dont l’aspect était tout aussi agréable à l’œil. L’Échalas semblait presque entièrement dépourvu d’idées ; pour ses échanges,