Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/172

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dant ce temps, le canot avançait, et il atteignit bientôt l’embouchure de la petite crique.

Nous trouvâmes la passe longue, mais étroite et sinueuse ; comme la baie, elle était garnie d’arbres et de buissons, qui empêchaient de rien voir à terre, d’autant plus que les rives avaient dix ou quinze pieds d’élévation. À raison de cette circonstance, Marbre nous proposa d’aborder des deux côtés de la crique, et d’en suivre à pied les détours, jusqu’à une certaine distance, afin de mieux reconnaître les lieux. Nous nous disposâmes aussitôt. Marbre et un des hommes de l’équipage débarquèrent avec leurs armes d’un côté, tandis que Neb et moi, également armés, nous abordions sur l’autre bord. Les deux hommes qui restaient reçurent l’ordre de nous suivre dans le canot, pour être prêts à nous prendre à bord, dès que nous le demanderions.

— Laissez l’Échalas dans le canot, Miles, me cria Marbre à travers la crique, tandis que j’allais mettre pied à terre. Je fis en effet un signe à ce sauvage ; mais quand j’eus atteint le haut du rivage, je m’aperçus que le drôle était à mes côtés. Il était si difficile de se faire comprendre d’une pareille créature sans le secours de la parole, qu’après une ou deux tentatives infructueuses pour le congédier par signes, j’abandonnai la partie, et je marchai en avant de manière à me maintenir en ligne avec mes compagnons. Neb m’offrait d’empoigner le vieux coquin, et de le porter dans le canot ; mais je crus plus prudent d’éviter tout ce qui pouvait ressembler à de la violence. Nous continuâmes donc notre route suivis de cet étrange compagnon.

Il n’y avait rien toutefois qui fût de nature à exciter nos alarmes ou à éveiller notre défiance. Nous nous trouvions dans une forêt vierge, avec sa nature sauvage, son humidité, ses ombrages épais, ses arbres morts ou tombés, et son terrain si accidenté. Du côté de la crique où je me trouvais, il n’y avait pas la moindre trace de pas humains, et Marbre nous appela bientôt pour nous dire qu’il n’y en avait également aucun vestige de son côté. Je crois que nous fîmes ainsi environ un mille, sûrs de ne pas nous égarer au retour à l’aide de la crique dont nous suivions les bords. Enfin on nous cria du canot qu’il n’y avait plus assez d’eau pour permettre d’avancer. Marbre et moi, nous descendîmes ensemble du rivage, pour remonter à bord. L’Échalas se coula à son ancienne place, en gardant toujours le même silence.

— Je vous avais dit de ne point emmener cet orang-outang, dit nonchalamment Marbre en s’asseyant près de nous après nous avoir