Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/185

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il était encore nuit, mais les étoiles donnaient assez de lumière pour me permettre de distinguer les figures basanées et sauvages qui rôdaient sur le pont, et même pour discerner l’expression de la physionomie de ceux qui venaient de temps en temps me regarder en face. Ces derniers semblaient avoir les dispositions les plus sanguinaires ; mais il était évident qu’un esprit supérieur tenait dans une étroite sujétion ces êtres grossiers, calmant la fougue de leurs caractères, domptant leur penchant à la violence, et donnant une direction et un but à tous leurs mouvements. Cet esprit supérieur était l’Échalas ! c’était un fait dont il ne m’était pas permis de douter ; c’étaient ses gestes, sa voix, son commandement, qui animaient tout, qui réglaient tout. Je remarquais qu’il parlait avec autorité et confiance, bien qu’avec calme. On lui obéissait sans aucune marque particulière de déférence, mais on lui obéissait aveuglément. Je pouvais voir aussi que les sauvages se considéraient comme maîtres du champ de bataille, et songeaient fort peu aux hommes qui étaient sous les écoutilles.

La position matérielle demeura la même jusqu’au lever du soleil. L’Échalas, c’est ainsi que je continuerai à nommer ce chef d’une physionomie si repoussante, faute de connaître son véritable nom, ne voulut permettre qu’on entreprît rien avant qu’il fît assez jour pour qu’il pût suivre toutes les démarches de ses compagnons. Je reconnus ensuite qu’il attendait des renforts ; car, dès que le soleil commença à paraître, on poussa sur le navire des hurlements auxquels on répondit de la forêt, qui paraissait pleine de sauvages. Peu de temps après, des canots sortirent de la crique, et je comptai cent sept de ces misérables à bord du bâtiment ; c’étaient là toutes leurs forces, car je ne vis plus rien paraître ensuite.

Pendant tout ce temps, c’est-à-dire pendant trois heures, je n’eus plus aucune communication avec les hommes de notre équipage ; j’étais certain cependant que tous étaient réunis, la jonction étant facile par le milieu du second pont, qui n’avait d’autre charge que les légers articles destinés au commerce de la côte nord-ouest, et, en prenant le parti d’enfoncer la cloison du gaillard d’avant ; et même, sans avoir recours à cet expédient, il y avait dans la cloison une planche mobile qui permettait de faire passer un homme à la fois. Je ne doutais pas que Marbre n’eût rassemblé toutes ses forces, et les matelots avaient pris leurs fusils et leurs pistolets avec eux, ainsi que toutes les munitions ; ce qui lui permettait de faire une vigoureuse résistance. Quelle marche adopterait-il ? j’en étais réduit sur ce point à faire des conjectures : une sortie était bien hasardeuse, en la supposant praticable ; et elle l’était à peine, à raison des mesures prises