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À BORD ET À TERRE.



CHAPITRE PREMIER.


Et moi ! la joie de ma vie est partie avec la force de mon esprit et le feu de mon cœur. Un peu de neige a remplacé ces boucles noires qui se jouaient sur mon front, et ces arbres chéris sous lesquels folâtrait mon enfance, ombragent aujourd’hui mon tombeau.
Mistress Himams.



Je suis né dans une vallée assez voisine de la mer. Mon père avait été marin dans sa jeunesse, et mes souvenirs les plus anciens se rattachent à l’histoire de ses aventures et à l’intérêt qu’elles m’inspiraient. Il avait servi dans la guerre de la révolution. Entre autres scènes auxquelles il assista, il était à bord du Trumbull, lors du combat qu’il soutint contre le Watt, la plus belle action navale de cette guerre ; et il avait un grand plaisir à en raconter les incidents. Blessé dans la bataille, il en portait encore les traces dans une balafre qui défigurait légèrement un visage qui, sans cette apostrophe, aurait été remarquablement beau. Ma mère, après la mort de mon pauvre père, parlait toujours de cette balafre comme d’une tache de beauté. Si mes souvenirs ne me trompent pas, c’était lui faire beaucoup d’honneur ; car elle faisait grimacer la figure d’une manière qui n’était rien moins qu’agréable, surtout lorsque celui à qui elle appartenait était de mauvaise humeur.

Mon père mourut dans la ferme où il était né ; il en avait hérité de son grand-père, émigrant anglais, qui l’avait achetée au colon hollandais qui l’avait établie originairement en défrichant les bois. Ce lieu s’appelait Clawbonny, mot très-hollandais suivant les uns, très-peu hollandais suivant les autres, mais que de temps en temps on s’aventurait aussi à soupçonner d’origine indienne. En tout cas, s’il y avait du bon dans son nom, ce n’était pas sans raison, car nulle part on n’eût trouvé de plus jolie ferme, et, ce qui n’arrive pas toujours dans ce monde pervers, elle était aussi bonne que jolie. Elle consistait en trois cent soixante-douze acres d’excellentes terres labou-