Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/224

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étude curieuse. L’insecte qui forme le rocher de corail doit être une petite créature bien industrieuse, puisqu’il y a tout lieu de croire que quelques-uns des récifs qui ont été connus des navigateurs dans les soixante ou soixante-dix dernières années, ont été depuis lors convertis par leurs travaux en îles portant des arbres. Si l’œuvre continue, une partie de cette vaste mer sera encore convertie en continent ; et qui sait si un chemin de fer ne traversera pas cette portion de notre globe, unissant l’Amérique à l’ancien monde ? Le capitaine Beechey, dans la relation de son voyage, parle d’un naufrage qui arriva en 1792 sur un récif, où il trouva en 1820 une île de près de trois lieues de long, couverte de grands arbres. Si une seule famille d’insectes peut faire une île de trois lieues de long en trente-quatre ans, ce serait un curieux calcul de constater combien il faudrait de familles pour former la base du chemin de fer dont j’ai parlé. Il y a dix ans, je n’aurais pas voulu hasarder une conjecture semblable, car elle aurait pu mettre la spéculation en mouvement, et être ainsi la cause innocente de la ruine d’un plus grand nombre de veuves et d’orphelins. Grâce à Dieu ! nous sommes enfin arrivés à une époque où il est possible d’exposer une théorie géographique sans courir le risque de voir aussitôt les spéculateurs y trouver un prétexte d’exploiter de pauvres dupes.

En approchant de la côte extérieure de l’île, en face du bâtiment naufragé, je me trouvai tout à coup auprès de Marbre. Le pauvre diable était assis sur une saillie d’un rocher de corail, les bras croisés, et il était plongé dans une si profonde méditation, qu’il ne m’entendit pas même approcher, quoique je marchasse exprès lourdement. Ne voulant pas le troubler, je me mis à considérer aussi les débris du naufrage, car on les distinguait beaucoup mieux de ce point que de tout autre. Les Français avaient ravagé le navire beaucoup plus que les éléments. Échoué sous le vent de l’île, il eût fallu des années entières pour le dépecer entièrement dans une mer aussi tranquille. Presque toutes les œuvres hautes étaient pourtant enlevées, et je découvris, plus tard, que les charpentiers français étaient parvenus à ôter une partie des varangues, n’en laissant que ce qu’il fallait pour maintenir la carcasse. Les bas mâts étaient encore debout, mais les basses vergues avaient été ôtées, sans doute pour être utilisées pour le schooner ; la plage était encore parsemée d’objets qu’on n’avait pas trouvé à employer.

Enfin, un mouvement que je fis appela l’attention de Marbre, et il tourna la tête de mon côté ; il parut content de me voir, et surtout de me voir seul.