Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/243

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je ne voyais pas la nécessité de continuer davantage ce triste métier. Retourner à l’île où les Français avaient laissé sous une tente des objets de prix, tels que le plomb qu’ils n’avaient pas employé, et divers ballots apportés par le navire venant de Bombay, c’était assurer aux armateurs de la Crisis un profit plus considérable que tout ce que pourrait produire un commerce illicite sur la côte.

Pendant que je discutais cette question avec Talcott et le nouveau premier lieutenant, le cri de : une voile ! se fit entendre. Un grand navire venait de sortir tout à coup des brouillards du matin, à un mille de distance ; et dans le premier moment, je crus que j’étais tombé sous les batteries d’un vaisseau de guerre espagnol. Un regard plus attentif nous convainquit que, quoique fortement armé, ce n’était qu’un de ces lourds bâtiments de commerce qui faisaient périodiquement la traversée entre l’Espagne et ses colonies. Nous fîmes vivement branle-bas, chacun courut à son poste, et je ne fis aucun effort pour éviter les nouveaux-venus. Les Espagnols semblaient plus inquiets que nous ; leur pays était alors en guerre avec l’Angleterre. Dès qu’ils virent le pavillon américain, ils témoignèrent le désir de communiquer avec moi. Ne me souciant pas de les recevoir à bord, j’offris d’aller rendre visite à leur commandant. Il me reçut avec le cérémonial ordinaire, et après quelques phrases insignifiantes, il me remit entre les mains quelques journaux américains où se trouvait le traité de paix entre les États-Unis et la France. En en parcourant les articles, je reconnus que je m’y étais pris à temps pour me remettre en possession de la Crisis. Si j’avais attendu jusqu’au jour actuel, à midi, c’eût été un acte illégal. Il est vrai que les deux nations étaient déjà en paix quand les Français s’en étaient emparés ; mais ils étaient encore dans la limite des délais d’usage pour les captures faites sur des mers éloignées. C’est une belle chose que la guerre, et toutes ses conséquences !

Dans le cours de la conversation, j’appris du capitaine espagnol que la petite vérole avait fait de grands ravages dans son équipage, et qu’il comptait toucher à Valparaiso pour le compléter. Il ne se croirait pas à l’abri des croiseurs anglais, disait-il, si avant de doubler le cap il n’avait réuni sur son bord des forces imposantes. Je saisis cette idée, et je lui demandai si des Français ne feraient pas son affaire. La France et l’Espagne avaient le même ennemi, et rien ne serait plus facile que de renvoyer les Français de Cadix à Marseille. L’arrangement fut conclu à l’instant même.

De retour sur mon bord, je rassemblai les prisonniers ; je leur fis connaître la proposition du capitaine espagnol, en leur apprenant