Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/29

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esclaves mâles qui, avec deux esclaves femelles, faisaient partie de la succession qui lui était revenue de sa mère.

Moi aussi j’avais une douzaine d’esclaves ; c’étaient des nègres qui, comme race, étaient dans la famille depuis presque aussi longtemps que Clawbonny. La moitié de ces esclaves étaient vraiment laborieux et utiles ; mais les autres savouraient toutes les douceurs de l’otium cum dignitate ; c’était une espèce de mobilier à nourrir, à habiller et à loger, sans parler de quelque menu fretin qui frétillait dans nos cuisines, se roulait sur l’herbe toute la journée, dévorait les fruits d’été à discrétion, et l’hiver se tenait tellement blotti dans le coin de la cheminée que, comme certain bel esprit du barreau de New-York le dit un jour des mines de charbon de l’est, j’aurais été tenté de les déclarer incombustibles. Ces nègres avaient tous le nom patronymique de Clawbonny : c’étaient Hector Clawbonny, Venus Clawbonny, César Clawbonny, Rose Clawbonny qui, par parenthèse, était noire comme un corbeau, Romée Clawbonny, et Juliette, vulgairement appelée July Clawbonny ; puis Pharaon, Putiphar, Samson et Nabuchodonosor, toujours Clawbonny pour finir. Neb, comme on appelait par abréviation celui qui portait le même nom que le roi herbivore de Babylone, était à peu près de mon âge, et il avait été longtemps mon compagnon de jeux. Même alors, lorsqu’on crut à propos de lui faire commencer les travaux plus sérieux qui devaient marquer son humble carrière, j’allais souvent le chercher pour qu’il m’accompagnât à la pêche, à la chasse, ou dans des parties de bateau que je faisais sur l’Hudson. Par suite de ces rapports et de la franche cordialité qui caractérisait mes manières à cette époque, il en vint à m’aimer comme un frère ou un camarade. Il n’est pas aisé de décrire l’attachement d’un esclave dans lequel s’est confondu tout à la fois le dévouement d’un ami, la sollicitude d’un frère et l’aveuglement d’un amant. Je crois en vérité que Neb était plus fier de se regarder comme appartenant à muster Miles, que je ne pouvais l’être de rien de ce que j’avais en propre. Neb en même temps aimait la vie vagabonde, et il m’encourageait beaucoup ainsi que Rupert à perdre dans l’oisiveté des heures que nous ne devions retrouver jamais. La première fois que je fis l’école buissonnière, ce fut sous le patronage de Neb, qui sut m’amorcer et me faire quitter mes livres pour aller cueillir la noisette sur la montagne, en me donnant cette bonne raison, que les noisettes valaient tous les livres du monde.

J’ai oublié de mentionner que la mort de ma mère, qui arriva dans l’automne, amena un changement immédiat dans l’intérieur de notre