Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/300

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maient même la base ; mais il suffisait d’être Anglais, de porter un habit convenable, et d’avoir un certain jargon, pour s’y faufiler, et c’était surtout parmi ces intrus que Rupert, dont la position n’était pas encore bien établie, se trouvait admis. On parlait haut, on buvait beaucoup, on manifestait un grand dédain pour le pays où l’on recevait l’hospitalité, quoiqu’on s’y trouvât en beaucoup meilleure compagnie qu’on ne l’aurait été chez soi. Comme la plupart des novices, Rupert croyait ne pouvoir mieux faire que d’imiter ces gentlemen de bas étage ; et comme ils ne disaient pas deux phrases sans parler de Lord A… ou de sir John B…, dont ils avaient retenu les noms, il avait la bonhomie de croire qu’ils étaient au mieux avec tous les dignitaires de l’empire britannique. Comme Rupert avait naturellement des manières assez distingués, il était vraiment déplorable de le voir travailler à se réformer, ou plutôt à se déformer, d’après des modèles si suspects.

— Clawbonny n’est pas une résidence princière, je suis prêt à en convenir, répondis-je après un moment d’hésitation ; mais on peut y demeurer cependant. Il y a une ferme, un moulin, et une bonne vieille maison en pierres de taille, aussi solide que commode, et qui a bien son mérite.

— C’est vrai, mon très-cher, et j’adore tout cela comme la prunelle de mes yeux ; mais en fait de ferme, vous savez bien, les jeunes personnes aiment les bonnes choses qui en viennent, beaucoup plus que l’habitation elle-même. Je parle surtout des jeunes Anglaises. Or, voyez-vous, le major Merton est un officier supérieur, ce qui le pose bien dans le monde ; car le roi met ses fils dans les armées de terre ou de mer, ce qui relève singulièrement, la profession, savez-vous bien ?

— Je n’en sais rien, et n’en veux rien savoir. Que m’importe que le roi d’Angleterre fasse telle ou telle chose de ses fils ?

— Tenez, mon cher, nous avons été trop longtemps enfants, voilà le mot. Nous sommes aujourd’hui arriérés.

— Le mal est au contraire qu’aujourd’hui les enfants se croient trop vite des hommes.

— Allons, vous ne voulez pas me comprendre. Je veux dire que nous nous sommes trop pressés de choisir un état. J’ai eu le bon esprit de me retirer à temps, moi ; mais vous persévérez, et vous avez tort.

— Je conviens que vous avez eu raison d’y renoncer, car vous seriez resté cent ans à bord que vous n’auriez jamais fait qu’un pitoyable marin.