Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne m’étais jamais demandé si Lucie était jolie. Je voyais qu’elle était agréable ; je m’imaginais qu’elle me le paraissait même plus qu’à aucun autre, et je ne regardais jamais sa figure ouverte et enjouée sans un sentiment de sécurité et de bonheur. Quand ses yeux rencontraient les miens, c’était avec une expression de franchise qui disait aussi éloquemment que des yeux peuvent parler, qu’elle n’avait rien à cacher.


CHAPITRE II.


Cesse de m’arrêter, mon cher Protens ; les jeunes gens qui restent enfermés chez eux, ont toujours l’esprit borné. — Viens plutôt avec moi admirer les merveilles de l’univers.
Shakespeare..


Pendant l’année qui succéda à celle où j’avais dû partir pour Yale, M. Hardinge avait suivi une méthode très-judicieuse pour mon éducation. Au lieu de me faire commencer l’étude des ouvrages que je devais voir dans cette institution, afin que j’eusse moins de peine ensuite, autrement dit pour alléger mes travaux futurs, pour favoriser ma paresse, il me remit aux éléments jusqu’à ce qu’il fût bien sûr que je les possédais à fond. Je savais mes deux grammaires littéralement par cœur, et jusqu’aux moindres notes. Aucun passage, aucune règle ne restait sans explication ; j’appris aussi à scander, ce qui, il y a cinquante ans, suffisait en Amérique pour faire une réputation de savant[1]. Ensuite nous dirigeâmes nos efforts vers les mathématiques, science que M. Hardinge pensait justement que je ne pourrais jamais posséder trop à fond. En peu de semaines, je savais à merveille mon arithmétique, dont j’avais déjà une certaine teinture ; puis j’attaquai la trigonométrie, ainsi que quelques-uns des problèmes de géométrie les plus utiles. Voilà où j’en étais au moment de la mort de ma mère.

Je l’ai déjà dit, je n’avais nulle inclination pour devenir savant. On pouvait me forcer à étudier le droit ; mais j’étais bien décidé à ne jamais en faire mon état. Sur ce point ma détermination était bien prise, et, quand ma mère aurait vécu, je n’aurais point changé,

  1. L’auteur eut pour maître un gradué d’Oxford, qui lui apprit à scander en 1801. La classe où il entra dans l’institution d’Yale, en 1803, fut la première où l’on fit cet exercice, encore se borne-t-on à scander le vers hexamètre d’Homère et de Virgile. La quantité n’était nullement en honneur dans ce pays. (Note de l’auteur.)