Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/326

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je vous répète que jamais elle ne m’a fait la plus légère confidence qui eût trait à l’amour.

— Jamais ! m’écriai-je, lisant mon arrêt dans ce mot inexorable ; car je croyais impossible, si elle m’avait réellement aimé, qu’elle n’en eût jamais laissé rien entrevoir dans ses épanchements intimes avec ma sœur. — Comment, vivant toujours ensemble depuis l’enfance, vous ne vous êtes jamais confié l’une à l’autre vos petites préférences mutuelles ?

— Jamais ! répéta Grace d’un ton ferme, quoique son visage fût en feu. Contentes de notre affection réciproque, jamais nous n’avons eu de secrets que nous ayons cru convenable de nous confier.

Il y eut alors un long intervalle de silence, également pénible pour tous deux.

— Grace, dis-je enfin, je ne suis point jaloux de cet accroissement de fortune qui arrive aux Hardinge ; mais je crois que nous serions restés bien plus unis et bien plus heureux s’il n’avait pas eu lieu.

Ma sœur trembla de tous ses membres et devint pâle comme la mort.

— Vous pouvez avoir raison à quelques égards, Miles, dit-elle après une pause, et cependant il y a peu de générosité à le supposer. Pourquoi désirerions-nous de voir nos plus anciens amis, ceux qui nous sont si chers, les enfants de notre excellent tuteur, moins bien traités que nous par la fortune ? Voudrions-nous qu’il n’y eût que Clawbonny dans l’univers, et d’autres n’ont-ils pas aussi leurs droits et leurs intérêts ? Il ne manque aux Hardinge que de l’argent pour tenir le premier rang dans notre pays, sous tous les rapports ; pourquoi serions-nous assez égoïstes pour leur envier cet avantage ? Dans quelque position que Lucie soit placée, elle sera toujours Lucie ; et quant à Rupert, un jeune homme si brillamment doué n’a besoin que d’une occasion pour sortir de la foule !

Grace était de si bonne foi, il y avait tant de candeur, tant d’abnégation dans son accent que je n’eus pas le courage de pousser plus loin l’épreuve. Elle commençait à se méfier de Rupert, cela était évident, mais elle n’en était encore qu’aux soupçons. Il répugnait à une nature si pure, à une âme si vraie, de croire à la fausseté de celui qu’elle aimait depuis si longtemps. Pour ce qui concernait Lucie, elle n’avait que de simples conjectures, qu’elle n’aimait pas à me confier par discrétion pour son amie ; et quant à ce qui lui était personnel, elle reculait devant l’idée de me révéler son grand secret. J’oubliais que je ne lui avais pas donné l’exemple, et que je n’avais pas mis