Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/327

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à nu devant elle l’état de mon cœur ; et cependant, moi, aucun motif de délicatesse ne m’engageait au silence ! J’attendis un moment pour donner à ma sœur le temps de se remettre de son agitation, et je mis la conversation sur le chapitre de nos intérêts matériels.

— Grace, dis-je dans le cours de mes explications, avant que vous me revoyiez, j’aurai atteint ma majorité. Nous autres marins nous sommes exposés à plus de chances et à plus de hasards que les autres hommes ; et il est bon de vous dire que, si quelque malheur m’arrive, on trouvera dans mon secrétaire mon testament, signé et cacheté, le jour même où je serai majeur. J’ai eu soin de le faire dresser par un jurisconsulte éminent, et je l’emporterai avec moi sur mer, dans cette intention.

— C’est me faire entendre que je ne dois pas porter mes vues sur Clawbonny, dit Grace avec un sourire qui indiquait combien la chose lui était indifférente. Vous en disposerez en faveur de notre cousin, Jacques Wallingford, votre plus proche héritier mâle, et vous ne pouvez mieux choisir.

— Non, chère sœur, c’est à vous que je le donne. Il est vrai que j’aurais pu laisser agir la loi ; mais je veux qu’il soit bien connu que c’était ma volonté expresse. C’était, je le sais, l’intention de mon père, si je venais à mourir sans enfants avant ma majorité. Tout m’appartiendra à cette époque ; et ce que j’aurai sera à toi, Grace, quand je ne serai plus.

— Voilà une conversation bien triste, Miles, et Dieu merci, je l’espère, bien inutile. En tout cas, Clawbonny vient tout autant des ancêtres de Jacques Wallingford que des nôtres ; et le mieux est que la ferme suive le nom. Je ne vous réponds pas de ce que je ferais, si j’étais libre à mon tour.

Ce Jacques Wallingford, dont je n’ai pas encore eu occasion de parler, était un homme de quarante-cinq ans, et célibataire. Il était cousin germain de mon père. Ses parents s’étaient fixés dans ce qu’on appelait alors les nouveaux pays, quelques milles à l’ouest de Cayuga Bridge, ce qui le mettait dans la partie occidentale de l’état de New-York. Je ne l’avais vu qu’une fois, un jour qu’il nous avait rendu visite en revenant de vendre quelques produits de ses terres. On disait qu’il avait de la fortune, et qu’il n’attendait pas après la vieille propriété paternelle.

Après avoir échangé encore quelques phrases au sujet de mon testament, Grace et moi nous nous séparâmes, plus étroitement unis que jamais l’un à l’autre, à ce qu’il me semblait, depuis cette espèce de conseil dans la salle de famille. Jamais ma sœur ne m’avait paru