Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/33

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quoique ma déférence pour ses volontés m’eût fait pousser mes études jusqu’au grade de licencié. À présent même qu’elle n’était plus, je m’informai si elle n’avait laissé à ce sujet aucune instruction, ni manifesté un désir qui eût été une loi pour moi. J’en parlai à Rupert, et je fus un peu choqué de la légèreté avec laquelle il me répondit.

— Qu’importe à vos parents maintenant, dit-il en appuyant sur ce dernier mot avec une intention qui me fit battre le cœur, — que vous soyez avocat, docteur ou négociant, ou bien que vous restiez à la ferme, et que vous soyez fermier comme votre père ?

— Mon père avait été marin, m’écriai-je avec la rapidité de l’éclair.

— Oui, et c’est une belle et noble profession. Je ne rencontre jamais un marin sans lui porter envie. Voyez un peu, Miles, ni vous ni moi nous n’avons encore été à la ville, tandis que les bateliers de votre mère, ou plutôt les vôtres, car ils sont à vous à présent, y vont régulièrement toutes les semaines. Je donnerais tout au monde pour être marin.

— Vous, Rupert ! mais vous savez que votre père désire que vous soyez ministre.

— Vraiment, un jeune homme comme moi ferait une jolie figure dans la chaire ou en surplis. Non, non, Miles. Il y a eu dans ce siècle-ci deux Hardinge dans les ordres, c’est bien assez ; moi, c’est pour la mer que j’ai de l’inclination. Vous savez sans doute que mon bisaïeul était capitaine de marine, et qu’il fit de son fils un ministre. Montrons aujourd’hui le revers de la médaille, et que le fils du ministre devienne à son tour capitaine. J’ai lu beaucoup de vies de marins, et on ne saurait croire combien de fils de ministres en Angleterre entrent dans la marine, et combien de fils de marins entrent dans l’église.

— Mais à présent il n’y a point de marine dans ce pays, — pas même un seul vaisseau de guerre, à ce que je crois.

— Voilà le mal. Le congrès a voté une loi, il y a deux ou trois ans, pour construire quelques frégates, mais elles n’ont jamais été lancées à la mer. Maintenant que Washington n’est plus en fonctions, je suis sûr qu’il ne se fera rien de bien dans le pays.

Je révérais, comme tous mes compatriotes, le nom de Washington, mais je ne voyais pas bien ce qu’il venait faire là. Rupert s’inquiétait peu des conséquences logiques, prenant ses assertions pour des réalités. Après une courte pause, il continua :

— Vous êtes maintenant de fait votre maître, dit-il, et vous pou-