Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/330

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— Oh ! oui, et bon grand-père, maître. Excellent noir, le vieux Pompée !

— Laissons la qualité de côté ; je suis sûr qu’il en valait un autre. Eh bien ! il me semble avoir entendu dire que le vieux Pompée avait été importé de Guinée, et qu’il avait été acheté par mon bisaïeul vers l’an 1700….

— Cela être vrai comme l’évangile, pauvre nègre ne pas valoir la peine que personne mentir pour lui. Eh bien ! dans tout ce temps, est-ce que vous avoir jamais entendu parler d’un Clawbonny qui vouloir être libre ? Vous dire à moi, et moi répondre à vous ?

— Vous m’en demandez plus que je n’en sais, mon garçon ; car je ne connais pas vos désirs secrets, et encore moins ceux de vos ancêtres.

Neb ôta son chapeau, se gratta la tête, roula ses yeux noirs de mon côté comme pour jouir de mon embarras ; après quoi il se mit à cabrioler sur la route, tournant comme une roue sur ses pieds et sur ses mains, montrant ses dents comme des rangs de perles, et terminant ses prouesses par un nouvel éclat de voix tellement retentissant, que pour cette fois toutes les collines en furent ébranlées. C’était un de ces tours de force que Neb m’avait appris il y avait quelque dix ans.

— Supposer moi libre, qui faire cela pour vous, maître ? cria Neb, comme quelqu’un qui a trouvé un argument irrésistible. Non, non, maître Miles, moi appartenir à vous, vous appartenir à moi, et nous appartenir l’un à l’autre.

La question se trouva ainsi décidée pour le moment, et je n’en dis pas davantage. Neb reçut l’ordre de se tenir prêt pour le lendemain, et à l’heure marquée je vins prendre congé de mes amis. C’était la troisième fois que je m’éloignais du toit de mes pères. Il avait été convenu que le major et Émilie resteraient à la ferme jusqu’au mois de juillet, et qu’alors ils iraient aux Sources pour prendre les eaux. J’avais passé une heure seul avec mon tuteur, et il n’eut autre chose à me dire qu’à me souhaiter toutes sortes de prospérités, et à me donner sa bénédiction. Je ne m’approchai pas pour embrasser Lucie ; c’était la première fois que nous nous séparions sans nous donner cette preuve d’affection. Elle me présenta pourtant la main avec sa franchise ordinaire, et je la serrai vivement en lui disant adieu. Quant à Grace, elle sanglota dans mes bras, comme elle le faisait toujours ; et le major et Émilie me secouèrent cordialement la main, en me disant que je les trouverais à New-Nork à mon retour. Rupert m’accompagna jusqu’au sloop.