Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/336

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— Allons, ma chère Sarah, dit Jane en intervenant, vous vous faites par trop ignorante. Vous savez combien nous sommes intimes avec les Green, et ils sont au mieux avec les Winter, qui sont voisins de porte de mistress Bradfort. Je ne vois pas comment on pourrait être plus à portée de bien connaître les faits.

Le hasard voulait que j’eusse appris par Grace qu’une vieille personne assez maussade, du nom de Green, demeurait porte à porte avec mistres Bradfort ; mais que ces dames ne se voyaient pas, parce qu’elles fréquentaient des sociétés toutes différentes. Mais les Brighams qui étaient de Salem, petite ville du Massachusets, ne comprenaient pas qu’on pût demeurer porte à porte dans une grande ville, pendant des mois, et même pendant des années, sans même savoir le nom les uns des autres. Il ne serait pas facile d’inculquer cette vérité, pourtant si banale, à l’habitant d’une de nos villes de province, qui est habitué à regarder la vie privée de son voisin comme son bien à lui, sa propriété personnelle, et à s’immiscer par conséquent dans toutes ses affaires.

— Sans doute que personne n’est plus à portée que nous de savoir ce qui se passe à New-York, dit la femme ; cependant, après tout, on peut se tromper. J’ai entendu dire qu’il y a un vieux M. Hardinge, qui est ministre, et qui serait un beaucoup meilleur parti pour la dame que son fils. Au surplus, tout cela importe peu maintenant, puisque mistress Bradfort n’a plus longtemps à vivre. Je le tiens de mistress John Foote, qui le tenait du docteur Hosack, qui lui avait donné tous les détails de la maladie.

— Je n’aurais jamais cru qu’un médecin aussi distingué que le docteur Hosack pût trahir ainsi les secrets de ses malades, dis-je avec un peu d’aigreur.

— Aussi n’en a-t-il rien fait, reprit vivement Sarah ; il est malin comme un renard, mais il avait affaire à fine mouche, et mistress Foote a su lui tirer les vers du nez sans qu’il s’en doutât, en procédant par négations.

— Comment, par négations ? je ne comprends pas.

— Sans doute, ajouta la matrone avec ce sourire de complaisance qui dénote le sentiment d’une certaine supériorité intellectuelle. Avec un peu d’habitude, on peut s’assurer d’un fait par négation aussi bien que par affirmation. Le tout est de savoir s’y prendre.

— Ainsi, c’est par négation seulement qu’on a constaté la maladie de mistress Bradfort.

— Assurément ; mais que faut-il de plus ? dit le mari. Quant à son